Articles Retour

Mes 16 ans en 9 albums : l'année 2008 de Malice

samedi 28 janvier 2023
Malice

L'autre belge de la rédac'. Passé par Spirit of Metal et Shoot Me Again.

Comment en êtes-vous arrivé là ? Oh, je vous rassure, je ne suis pas votre bonne conscience, vous conseillant de déposer cette quinzième pinte pour plutôt vous servir du thé, de ne pas acheter ce vinyle édition limitée de Kings Of Metal avec un vrai slip en fourrure fourni ou de ne pas vous réinscrire sur Tinder pour la sixième fois après autant de ruptures. Non, comment en êtes-vous arrivé à écouter ce qui compose actuellement vos playlists ? Qu'est-ce qui a forgé votre parcours musical, fait de vous le fan de metal que vous êtes aujourd'hui ? Les clichés autour du metal sont nombreux mais l'un d'eux m'a toujours semblé vrai : c'est un style qui permet de nombreuses portes d'entrée. Souvent, à un âge pas forcément prédéfini, vous trouverez la vôtre. Le metal symphonique, le néo-metal, le vieux vinyle Iron Maiden du paternel, le « For fans of » des vieux magazines Hard & Heavy. La volonté de choquer qui vous fait porter un tish' Cannibal Corpse à 14 piges. Le métalleux un peu louche de l'école, tombé dedans quand il était petit, et qui vous a fait découvrir Mayhem d'un air mystérieux et solennel comme si on était encore en 1993 alors qu'il a acheté le CD dans un Carrouf', classé entre Manu Chao et Mozart l'Opéra Rock. Peut-être même étiez-vous ado dans les nineties, auquel cas l'époque des tapes black et death, ça vous connaît.

***

Dans tous les cas, ce qui m'est apparu ces dernières années, c'est qu'il existe pour moi une année charnière. Une année lors de laquelle une infinité de portes se sont ouvertes, lors de laquelle les barrières que je me mettais sont un peu tombées. Alors que j'avais progressivement l'âge (16 ans) de faire des festivals de metal seul, un univers d'une richesse insoupçonnée s'ouvrait à moi. Résultat : 15 piges plus tard, les albums sortis pendant cette année 2008 ont toujours cette drôle de saveur pour moi. La nostalgie, camarade ? Certainement. Faut le reconnaître, certains de ces albums ne sont certainement pas aussi bons que dans mes souvenirs, et je l'entends bien à la réécoute. Mais c'est au-delà de ça : c'est une conscience que plus jamais je ne « découvrirai », pan après pan, le metal dans ce qu'il a de plus varié. Bien sûr, je n'ai pas « découvert » l'existence du metal et de ses sous-genres en 2008, mais enfin, à la faveur de sorties emblématiques, d'un abonnement tout frais à Rock Hard (que j'ai continué à lire pendant presque 10 ans !), de goûts qui s'affûtaient, tout m'apparaissait. La meilleure métaphore, c'est celle d'un RPG en monde ouvert auquel vous joueriez pour la première fois. Plus jamais, lors de vos futurs playthroughs de The Witcher 3, vous ne redécouvrirez Skellige, Novigrad ou Toussaint pour la première fois, désolé de vous le dire – et vous donneriez cher pour revivre ça. Pour moi, 2008, c'était le commencement. Bienvenue dans ma boîte à souvenirs, en mode ligne du temps...

 

Avantasia – The Scarecrow (25 janvier)

Aaaaah, Tobias Sammett, tu ne sais pas tout ce que je te dois. Ca peut paraître étrange, mais Avantasia a été mon premier vrai amour en power metal. Pire : alors que la voix d'Andi Deris était la seule que j'associais à Helloween (qui sortait le très moyen Gambling with the Devil en 2007), je découvrais la voix d'ange de Michael Kiske... sur « Shelter from the Rain ». Un choc, suivi de l'écoute des premiers albums des Citrouilles. Quant à cet album ? Encore aujourd'hui, j'en connais chaque mot par coeur. Avantasia a sorti quelques réussites par après, mais Sammett n'est plus aussi inspiré depuis. Certains albums de cette liste ne me touchent plus autant mais quand j'entends les notes celtisantes de « The Scarecrow » et la montée en puissance signée Jorn Lande (autre découverte), j'ai des frissons, même en 2023.

 

 

Bullet For My Valentine – Scream Aim Fire (28 janvier)

Récemment, j'ai eu l'impression d'avoir 16 ans à nouveau. En effet, l'éponyme de Bullet For My Valentine sorti en 2021 était tout simplement leur meilleur depuis un certain Scream Aim Fire – voire même tout bonnement depuis The Poison – que j'écoutais en boucle en cette année 2008. Bon, évidemment, comme tout ado vaguement métalleux de l'époque, j'ai découvert BFMV (rien à voir avec la chaîne de télé) avec « Tears Don't Fall » et The Poison était mon album de chevet. Ca hurlait, ça avait des mèches, ça pleurnichait, mais ça passait mieux que le « vrai » metalcore ou deathcore. Mais Scream Aim Fire marquait un tournant : le groupe laissait ressortir un côté plus heavy, plus technique, assumait ses influences « à la Metallica » - que j'approfondissais déjà depuis l'une ou l'autre année. Par moments, ça frisait le plagiait : c'est grâce à cette repompe éhontée du riff de« Evil Spell » sur le morceau-titre que j'ai découvert Primal Fear, continuant à me plonger dans le power des années 2000. Et bordel, encore aujourd'hui, j'ai du mal à comprendre comment les Allemands n'ont pas porté plainte. Pour le détail, en quinze piges, Bullet For My Valentine est le seul groupe de cette liste que je n'ai encore... jamais vu en live. Assez incroyable maintenant que j'y pense...

 

In Flames – A Sense Of Purpose (4 avril)

C'est le moment pour moi d'évoquer un concept fort moqué au sein du webzine : le « For fans of ». Si vous ignorez ce que c'est, le « FFO », ça consiste à donner quelques noms de groupes sonnant « comme » le groupe présenté, afin que le lecteur de l'article puisse d'emblée savoir si la chronique le concerne vaguement ou pas. Parfois, c'est loufoque – on a déjà reçu du « FFO Ulcerate, Alice in Chains, Paradise Lost » (démerde-toi avec ça), et la légende parle même d'un groupe présenté dans le livret Hellfest comme « FFO Darkthrone, Cro-Mags, Thin Lizzy ». Bref, comme l'explique de façon loquace le confrère Sleap, « les For Fans Of, c'est d'la merde ». Et pourtant... à chacun sa porte d'entrée. Bullet For My Valentine a probablement été celle de beaucoup et à l'époque, les FFO un peu feignants citaient Iron Maiden, Metallica, Slayer (tout ça, je connaissais) mais aussi... In Flames. J'avais donc découvert Clayman et Reroute to Remain, encore à ce jour mes préférés, et j'ai toujours une affection particulière pour A Sense Of Purpose. Le soin apporté aux mélodies de guitare, l'émotion dans la voix d'Anders Friden et ses textes mi-affûtés, mi-adolescents, tout dans cet album me renvoie vers une époque révolue. Ironiquement, l'époque où In Flames faisait de bons albums est révolue aussi.

 

Tiamat – Amanethes (18 avril)

Découvrir de la musique, c'est aussi, parfois, craquer pour une esthétique. Bon, je ne vais pas le cacher : dans 90% des cas, je m'en fiche un peu. Mais à l'époque, cet album de Tiamat a attiré mon regard, je ne sais pas pourquoi ; Amanethes a été le premier CD que j'ai acheté juste parce que j'en aimais la pochette. Et quelle belle surprise. C'est simple : cet album a été mon introduction au metal gothique mais aussi à certaines sonorités qui, actuellement, me bercent souvent, comme The Cure ou encore les Sisters of Mercy. Des groupes dont j'ignorais jusqu'à l'existence à l'époque – je connaissais The Cure pour « Boys Don't Cry » comme tout le monde, mais au-delà de ça...  et Tiamat, via ce magnifique Amanethes encensé par le Rock Hard du mois, me prouvait qu'il y avait autre chose dans la vie que des cris et des guitares. Encore aujourd'hui, « Until the Hellhounds Sleep Again » ou l'enchaînement Floydien « Amanitis-Meliae » me foutent les frissons, et j'en reconnais l'importance énorme sur mon parcours musical. À la réécoute, bien sûr, Amanethes n'est pas dénué de défauts : c'est cheesy, les textes sont parfois maladroits, et je retourne plus souvent vers Wildhoney ou même Prey. Mais que de couloirs derrière la porte que j'ouvrais en 2008...

 

Judas Priest – Nostradamus (13 juin)

Qui peut dire que le premier morceau qu'il ait jamais entendu de Judas Priest est « Prophecy » ? Eh oui. Oh, bien sûr, j'ai dû de ci de là entendre le riff de « Breaking the Law » et le refrain de « Living After Midnight », mais à 16 piges, Painkiller n'était pas encore dans mes oreilles. Ce n'est qu'au fil des 12 mois qui suivront que je tomberai dans le bain du power metal et de ses influences speed/heavy des 80ies, grâce notamment à Avantasia cité plus haut. Le cours de rattrapage sera intensif, mais reste que le double album-concept Nostradamus était mon premier du Priest. Résultat : quelques années plus tard, sur l'Epitaph Tour, je serai l'un des rares à m'égosiller sur le « I AM NOSTRADAMUS » de « Prophecy », seul extrait issu de cet album franchement mal-aimé. Pas à tort, car Nostradamus est un opéra foutraque, surchargé d'orchestrations et loin de ce que le public attendait après Angel of Retribution qui signait le retour en forme de Halford. Le Metal God y livre une prestation lyrique, grandiloquente, parfois sublime (l'enchaînement « Exiled/Alone » du deuxième CD est à réécouter sans a priori), mais loin de ses jeunes années... et sera à côté de la plaque lors de la tournée qui suivra. Quinze ans plus tard, je connais chaque titre du Priest par coeur, et Rob est en grande forme.

 

Amon Amarth – Twilight Of The Thunder God (17 septembre)

Je vous l'ai dit, cet article parle de portes d'entrée... et quelle meilleure porte d'entrée pour le death metal qu'Amon Amarth ? Évidemment, les gatekeepers du death s'insurgeront. Après tout, leur nom est bien trouvé : ils sont là pour garder la porte, à savoir empêcher les gens d'entrer dans leur style par une autre porte que celle vue par leurs soins comme appropriée. Eh non, pas de Morbid Angel ou même de Cannibal Corpse dans mon MP3 à l'époque. À vrai dire, c'est même l'esthétique complètement conne de CC qui m'a fait regarder le death metal avec un peu de mépris à l'adolescence. Mais je m'égare. Twilight of the Thunder God, donc : assez incontournable en cette année 2008, car Amon Amarth a réellement accédé au statut de groupe mainstream avec ce gigantesque album. Les influences heavy et mélodiques sont plus assumées (ne serait-ce que sur le riff du morceau-titre, devenu culte), les collaborations sont intelligentes (le solo de Roope Latvala, le tube « Guardians of Asgaard » avec le regretté Lars G. Petrov, les violoncelles d'Apocalyptica sur « Live for the Kill »). Amon Amarth a beaucoup souffert de l'image de son public, et de cette mode viking en toc insupportable qui aura suivi dans la décennie suivante ; mais au moment de la sortie de TOTTG, le groupe paraît inarrêtable, et en route vers les sommets. Dommage que sur album, la magie n'ait plus vraiment opéré depuis, sauf par à-coups.

 

Trivium – Shogun (30 septembre)

Un peu comme Bullet For My Valentine, Trivium est récemment revenu à un niveau digne de ses meilleures années avec In The Court Of The Dragon (2021). Matthew Heafy a également enfin mené à bien son projet de metal extrême inspiré de son Japon natal, sous la forme d'Ibaraki, l'un de mes albums de 2022. Mais rien ne dépassera selon moi la puissance et l'ambition quasi-alambiquée de Shogun, peut-être mon album de 2008. La première moitié de Shogun est inégalable : de la folle chevauchée « Kirisute Gomen » aux imparables « Throes of Perdition », « Down from the Sky » et « Into the Mouth of Hell We March », c'est sidérant. Tout est juste, entre l'efficace et l'épique, avec ce qu'il faut d'agression pour rassurer les déçus de The Crusade, que Shogun dépasse de la tête et des épaules dans tout ce qu'il entreprend. La seconde moitié de l'album est moins évidente (le très sombre « He Who Spawned the Furies »), jusqu'au magistral morceau fleuve « Shogun » et ses mélodies japanisantes. Enfin, après des débuts assez  « classiques » dans leur metalcore marqué par son époque et un The Crusade qui criait bien trop fort ses influences, Trivium et Matt Heafy s'affirment. Shogun fait rentrer le groupe à l'âge adulte – un beau symbole pour cet article, en somme. Rappel : cette année-là, Matt Heafy venait de fêter ses 22 ans à peine. Sidérant.

 

Gojira – The Way of All Flesh (13 octobre)

Aaah, la grande époque. Si vous m'aviez entendu passer toute mon année 2021 dire à qui veut encore bien l'entendre à quel point Fortitude, le dernier Gojira, est infect. Tout ce qui me plaisait dans cet espèce de rouleau-compresseur inarrêtable a disparu, et en soi, ce n'est pas forcément le souci ; pour l'anecdote, l'une des chroniques ayant servi à mon recrutement sur Horns Up était celle de Magma, que j'ai adoré. Mais peut-on écouter « Art of Dying » et encore oser me dire en face que Gojira n'a pas sérieusement faibli ? Ce n'est pas une question de tubes – « Vacuity » est encore et toujours le plus gros tube de la carrière des Landais – mais d'intensité, d'intelligence de composition. Le message ? Il était tout aussi présent sur le dévastateur, mais conscient « Toxic Garbage Island » que sur l'insupportable boing-boing-core à la sous-Sepultura qu'est « Amazon ». L'expérimentation ? Retournez écouter « A Sight to Behold » et son vocoder culotté. Tout ce qui synthétise l'âme de Gojira est sur The Way of All Flesh, même si From Mars to Sirius restera l'album culte et que L'Enfant Sauvage est un peu plus cohérent. Quinze ans plus tard, j'ai peur de ne plus jamais retrouver cette puissance. Et j'en suis sincèrement chagriné.

 

Cradle Of Filth – Godspeed On the Devil's Thunder (27 octobre)

Dernière pièce de cette boîte à souvenirs, dernière porte d'entrée. Comme beaucoup d'ados, j'ai été fasciné par l'imagerie horrifico-érotique de Cradle Of Filth assez tôt. Il flottait comme un parfum d'interdit autour de ce groupe qui m'apparaissait comme le summum de la violence, alors que mes potes s'étaient arrêtés à Slipknot. Cradle Of Filth maîtrisait parfaitement les codes qui plaisaient, comme avec ce clip gore de « Scorched Earth Erotica » ou ce t-shirt « Jesus is a cunt » que personne n'aurait osé mettre pour venir à l'école (surtout dans mon collège catholique...). Problème : en 2008, ça fait quelques années que CoF se limite un peu à cette provoc' et que sur album, ça rame. Avec du recul et des réécoutes, je doute que Godspeed On The Devil's Thunder reste dans les mémoires comme un grand album de Dani Filth et sa bande. Mais remettez-vous dans le contexte : on sort d'une véritable traversée du désert depuis le culte Midian (2000), avec au mieux 4 ou 5 morceaux à sauver sur Damnation & a Day, Nymphetamine et Thornography réunis (et aucun sur cet abominable petit dernier). Cradle Of Filth, en 2008, c'est à chier depuis 8 ans. Alors quand débarque cet album-concept chiadé sur Gilles de Rais, qui revient aux thèmes ayant fait le succès du groupe, et qu'il est en plus accompagné des meilleurs morceaux depuis Midian, on ne fait pas la fine oreille. Une fois par décennie, Cradle Of Filth sort encore un excellent album (c'était le cas en 2015 avec Hammer Of The Witches) ; on verra ce qu'il en est dans les années 2020...

***

Drôle d'exercice que celui-ci ; si vous ne l'avez jamais fait, posez-vous la question – y a-t-il une année particulière, une période de votre vie dont vous pensez qu'elle a eu un impact fort sur votre vie, musicale ou même tout court ? Tout ce que j'écoute aujourd'hui ou presque peut me ramener à 2008. Une façon aussi de constater que j'ai pris des raccourcis : à 16 ans, j'ignorais tout de la scène black metal norvégienne, du heavy metal américain, du black metal français que je découvrirais dans la décennie suivante - la liste est longue. Se construire à rebours, accepter passé un certain âge qu'on a des manquements musicaux profonds et que c'est ok tant qu'on est entouré de gens bienveillants, prêts à combler vos lacunes. Mais aussi accepter ces piliers sur lesquels vous vous êtes construits, et les réécouter avec le sourire...