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Album

20 septembre 2020 - Matthias

Khors

Where the Word Acquires Eternity

LabelAshen Dominion
styleAtmospheric Black Metal
formatAlbum
paysUkraine
sortieseptembre 2020
La note de
Matthias
7.5/10


Matthias

Punkach' renégat hellénophile.

Depuis le début du millénaire, les fertiles terres d'Ukraine ont donné naissance à une scène black metal qui s'est hissée parmi les plus intéressantes du continent, mais celle-ci a du mal à s'affranchir du mouvement de balancier idéologique typique de son pays natal, entre volonté de s'ouvrir vers l'occident et mise en avant d'un particularisme culturel confinant au nationalisme exacerbé. Une tendance que l'on peut d'ailleurs aussi retrouver, mutatis mutandis, dans le métal noir québecois. Mais venons-en au fait.

La carrière de Khors illustre assez bien ce dualisme : la formation, issue du très fécond microcosme de Kharkiv a, dès son troisième album, l'excellent Mysticism, fait le pari du chant en anglais et de la signature sur le label américain Paragon Records, avant d'adopter un style plus atmosphérique avec un Return to abandoned très bon lui aussi. Le groupe a ensuite obliqué plus profondément vers ses racines ukrainiennes pour deux albums chantés en cyrillique, plus proches du style teinté de paganisme slave d'autres formations aux mêmes origines qui commençaient à se faire connaître à l'ouest en dehors d'un public de niche, Kroda et Nokturnal Mortum en tête. Mais il faut bien le dire avec un petit je ne sais quoi en moins qui ne lui a pas permis de s'imposer. Khors reste toutefois le groupe de black ukrainien qui s'exporte le plus facilement dans les festivals de France et des états bourguignons, au Motocultor entre autres ; il faut dire que le groupe trimballe moins de casseroles idéologiques que certains de ses illustres cousins.

Khors reste toutefois un représentant solide de la scène ukrainienne, et le septième opus du groupe, Where the Word Acquires Eternity, album-concept sur le renouveau culturel ukrainien des années 1930 avant sa très brutale répression, marque un très bon compromis entre les deux périodes précédentes. Dès "Starvation", la voix de stryge enragée de Jurgis soulève un chœur d'aberrations nocturnes sous une alternance de claviers et de guitares qui ne dépareillerait pas dans un film d'horreur impressionniste. Musicalement très soigné, l'album prendra toutefois quelques morceaux pour s'épaissir d'une certaine ambiance, avec les airs de violon et de piano de "The Sea of My Soul", morceau mid tempo qui ose une voix claire et lancinante sur une instrumentation lourde comme un ciel d'orage, véritable archétype de ce que le black teinté de pagan ukrainien fait de mieux. Impression confirmée avec un "...and Life Shall Harvest One's Past" à la construction impeccable et qui prend des accents épiques, avec son texte scandé tandis que les guitaristes rivalisent de soli aériens.

Where the Word Acquires Eternity est d'une écoute très intéressante, pour ne pas dire agréable vu la gravité du sujet, et ce septième album marque peut-être une certain juste milieu entre le Khors mélodique des débuts et celui plus attaché à ses racines ukrainiennes qui a suivi. Il subira toutefois la comparaison avec les œuvres de certains compatriotes, Nokturnal Mortum en premier lieu ; certaines compositions rappellent immanquablement celles du grand frère, ce qui est difficilement évitable quand on officie peu ou prou dans le même registre, et avec un chanteur crédité sur le dernier album, l'excellent Істина/Verity. Mais il manque à Khors ce grain de folie si particulier au groupe de Varggoth, cette touche païenne et furieuse typique, là où Khors officie dans un registre moins démonstratif. Il est finalement regrettable que ces Ukrainiens-là doivent systématiquement passer sous les fourches caudines de cette comparaison. Car à une époque où le black atmosphérique plus ou moins teinté de pagan et à forte thématique locale est décliné à toutes les gastronomies traditionnelles, Khors rappelle avec cet album que le groupe s'affranchit largement de la trop longue catégorie des hors-d’œuvre, et que, lui, il bonifie avec le temps. Tout en nous gratifiant au passage d'une leçon d'Histoire peu connue à l'ouest, alors qu'elle constitue toujours, et sans doute pour des siècles encore, la tragique trame qui tisse l'avenir incertain de tout un pan de l'Europe.

 

Setlist:

Starvation

Blissforsaken

Crystals of the Fall

The Sea of My Soul

...and Life Shall Harvest One's Past

Up the Ladder to a Lance

The Mist (Let This Fog Devour a Snow)

Beneath the Keen Edge of Time