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Album

24 septembre 2020 - Gazag

VI

De Praestigiis Angelorum

LabelAgonia Records
styleBlack Metal
formatAlbum
paysFrance
sortieseptembre 2015
La note de
Gazag
10/10


Gazag

Et tu découvriras un album de Black Metal aussi accrocheur qu’un Epitaph de Necrophagist ou qu’un Organic Hallucinosis de Decapitated. Les points communs sont inexistants, du moins en apparence. Ce genre de riffs qui s’encastrent dans le crâne dès la première écoute et qui ne vous quittent plus jamais. Un shot de morphine qui vous fait relancer la platine encore et toujours, enivré dans la nostalgie de retrouver l’intensité de la première défonce. La galette tournait, elle tourne toujours, elle tournera pour l’éternité. Avant d’étriper la musique, voyons qui sont les auteurs de cette horreur. D’abord il y a INRVI, le coupable principal. En 2008 il sort, seul, un EP : De Praestigiis Daemonum. Le disque est signé du nom de groupe VI. Au regard du sujet de cette chronique, cet EP fait figure de démo, tant les éléments essentiels sont présents, mais humbles. Puis le monsieur rejoint Aosoth sur le long terme. VI est mis sur le côté, et patiente jusqu’en 2015. Là, sort De Praestigiis Angelorum, avec deux membres supplémentaires, Blastum de Merrimack, et BST de Genital Grinder / The Order of Apollyon. Ces ajouts bénéfiques transcendent la vision d’INRVI, et lui font atteindre sa cible : Dieu.

Retour des clous sur la Sainte Croix

VI veut désenchanter le Christianisme et parler directement au Créateur, en tant qu’Homme. Et pour cela, il ne met pas les formes. Il utilise la stratégie du boxeur : impact, gestion du rythme, vitesse. Riff en trémolo direct dans la face, puis fourberie avec un motif mélodieux qui dérape dans une rythmique hystérique, suivit d’un arpège corrosif pour jouer sur le mental, il faut être sur tous les fronts. Pas d’esquive possible, le garçon gagne à chaque fois. Déjà parce que l'enchaînement est imparable, aussi parce que les mesures varient constamment. L’écriture reste pair, mais ratisse large. Huit quatre six deux, tout ça mélangé. Et au sein même de ces mesures, les riffs s’amusent à changer de tempo. En amont de déployer de belles ambiances et de nobles mélodies, cet album est avant tout un festival rythmique, avec certains des plus belles contorsions que le style ait à proposer.

Toutes les strates de composition renferment cette volonté de variation, car l’écriture globale des morceaux n’a pas de structure apparente. Les plans se suffisent à eux-mêmes. La dynamique est portée par la succession. Une fuite en avant, les derniers kilomètres d’un marathon suffocant, où le menton se dirige dangereusement vers le sol, mais se redresse à temps, et poursuit sa course infernale. La batterie y est pour beaucoup. Elle rattrape régulièrement les guitares, parties filer vers les nuages. Le batteur tire sur son fil de pêche, et les replace sur un semblant de route, construite à la hâte par la basse, inflexible. Toutes les idées et émotions s’empilent sans craquer, même si chacune d’elle est instable et pue la violence. Le Tech Death frétille, observant des briques aux formes différentes s’ordonner pour modeler des marches précaires. L’enfilade d’arpèges dessine un escalier, qui serpente et s’élève par à-coups vers les cieux. Arrivé en haut, la quiétude apparait. Le tempo baisse, offrant des temps faibles épurés, s’étalant sur la longueur. Au sommet, comme une révélation mielleuse face à Dieu, l’auditeur est bercé. Il inhale la réconfortante propagande, déploie ses poumons. Puis il voit INRVI atteindre lui aussi la crête, se dresser, et combattre son géniteur. Dieu accuse, et mange ses dents. L’objectif est alors atteint.

Bas gros poing sur le Sacré Coeur

Une fois la cible touchée, il faut entendre le bruit du choc. Et tes entrailles seront ciselées par les tranchants d’un Black Metal rouillé, mais si aiguisé qu’aucune résistance ne te sera efficace. Une production qui revendique ouvertement l’ancienne école, abrasive et pleine de grain. Cette base est recouverte par une fine couche plus moderne, polie et lisible, ajoutant du contraste entre les instruments. Quand tous se mettent ensemble et frappent, ils inscrivent des marques fumantes dans les oreilles. La dissonance est présente partout. Elle est présente dans les riffs, avec la capacité de former des diamants à partir de gravats. Les sonorités pessimistes mises bout à bout forment une parure hasardeuse mais céleste. La superposition des deux guitares apporte des reflets à cette joaillerie. Peut importe la nature du plan, le mineur est omniprésent, un climat à la fois délétère et solennel apparait. Les diamants tombent au sol et baignent dans le sang. Il roulent, comme magnétisés, vers les pieds d’INRVI. L’échine dressée, il attaque Dieu en décochant des éclairs distordus.

Ces assauts délivrés sont portés par une batterie bien vivante. Elle est disciplinée dans la férocité d’une part, aventureuse sur les temps faibles d’autre part. Elle offre un socle robuste aux guitares, avec des expressions personnelles rafraichissantes. Et le trou dans les nuages sera ainsi percé, et s’engouffrera alors la voix d’INVRI. Un chant sans note, une parole déchirée, la gorge apparente, le ton défiant et irrévocable. Le discours au pupitre d’un mec qui ne bouge pas, tout droit, méga vénère, toutes ses veines gonflées. Les mots en Français que l’on attrape au vol témoignent d’une fatalité où les ignorants sont les mieux lotis. A chacun ses sacrements.

Consummatum Est

Dieu quant à lui répond tant bien que mal à ses attaques. Il s’immisce avec difficulté dans les riffs, il les aplati pour en dégager des mélodies en détresse. Qu’il étranglera pour faire roter de courts épisodes en majeur. A travers les épais murs noirs, ces fins rayons percent les lucarnes en vitrail, et sont accompagnés de cœurs à l’agonie qui émergent à de courtes reprises, simples faire-valoir. C’est assez maigre. Il y a jeu, mais jamais vraiment match. La victime ne peut que crier. Le plus gros de l’oeuvre est utilisé pour décrire en détails ces sévices. Victoire de l’homme, victoire de BST, de Blastum, et d’INVRI. Tout en restant frontal sur la forme, ce Black Metal dresse sa propre identité. Il en expose toutes les facettes, chargées d’émotions. Il incarne une proposition qui ne lasse pas, malgré un objectif inflexible. Quarante-cinq minutes de rage, le vent brulant qui arrache les chairs, la mâchoire qui grince, les yeux irrités, l’esprit perdu. Alors qu’en réalité, nos pieds sont tout droit fichés dans le sol, plantés au milieu d’une grande nef silencieuse, dans le coeur d’une cathédrale lugubre.