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mardi 7 juillet 2020

Fedrespor (Nordic Folk)

Varg Torden Saastad

S.

Fedrespor s’est révélé au public metal grâce à son album Fra en Vugge i Fjellet sorti en 2019 chez le label suédois Nordvis. Pour autant, il n’est ici nullement question de musique saturée, mais d’un Nordic Folk pur et authentique. Il fut mon compagnon sonore lors d’une de mes récentes pérégrinations alpines, et c’est dans ces conditions que le déclic spirituel s’est opéré, happé par les émotions ressenties à son écoute. Une transe cathartique, une révélation. La nature sauvage et la musique connectées.

J’ai donc naturellement souhaité en savoir davantage sur ce projet qui m’a mis dans cet état, en allant à la rencontre de Varg Torden Saastad, le Norvégien derrière Fedrespor. Pour favoriser l’immersion dans cette interview et découvrir son travail, je vous invite à lancer le titre suivant…

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Le projet / l’album

 

S. : Bonjour Varg. Tout d’abord merci de m’accorder un peu de ton temps pour en savoir plus sur l’univers gravitant autour de Fedrespor. En préambule, peux-tu présenter ton projet, pourquoi l’avoir créé ? D’ailleurs, que signifie « Fedrespor » ?

Salut! Merci également pour ton intérêt. Fedrespor devait être, à l'origine, un projet metal. J'ai écrit 8 titres qui sont sortis sur une démo en 2013. Mais pendant l’année suivante, en 2014, j'ai perdu mon petit frère, et les choses ont commencé à changer. J'ai changé.
J'ai dû creuser plus profondément pour trouver un sens aux choses et j'ai vécu une crise existentielle à bien des égards. Donc, pour trouver quelque chose qui avait encore plus de sens, j'avais besoin de jouer ma musique différemment et j'ai décidé de me tourner vers l'acoustique et d'approfondir mes réflexions sur la vie et la mort, à propos de l'univers et du temps (Tid), qui était aussi le titre de mon premier album.
Littéralement, Fedrespor pourrait être traduit comme "les traces des ancêtres", mais je préfère utiliser une phrase pour présenter la signification du nom : "l'Homme est l'impression du passé et avance dans l'éternité".

 

S. : Quelle est la thématique abordée sur Fra en Vugge i Fjellet ? Quels sont les messages ou les valeurs véhiculés ?

Fra en Vugge i Fjellet gravite autour du développement personnel et de l’élévation. L'art pour la vie et que rien ne dure éternellement.
Je suppose que c'est la continuité de mon combat et de mes pensées qui m’ont porté pendant les moments difficiles de ma vie. L'esprit humain dispose d'une force incroyable lorsqu'il est utilisé pour la création et la croissance.

 

S. : Comment se sont déroulés la composition et l’enregistrement de ton premier album ? Est-ce le fruit de longs mois/années de réflexion ou plutôt quelque chose de plus spontané ?

La composition et l’enregistrement ont été réalisés en parallèle du développement des instruments. J’ai appris et composé en même temps. J’ai mis un peu plus d’un an pour écrire et enregistrer l’album. Je sais que j’aurais pu avoir une meilleure production, mais ça fait partie de la vie, mon parcours. Mes prochaines compositions sonneront certainement bien mieux. Mais j’apprécie l’album tel qu’il est : il est sincère.

 

S. : De nombreux instruments traditionnels sont utilisés dans cet album. Peux-tu les présenter ? Est-ce toi qui les utilises ou as-tu fait appel à des musiciens de session ?

J'utilise principalement la Lyre de Kravik, le bukkehorn et le tagelharpa afin d’obtenir le paysage sonore que je souhaite. C'est ce côté intemporel que je désire donner à ma musique. Un endroit qui n'a pas besoin d'être défini. Bien sûr, ma guitare, mon synthé et mes percussions m’accompagnent tout au long du processus.
Ce que j’apprécie dans ces différents instruments, c’est ce sentiment de garder en vie quelque chose du passé. Et je pense que c'est une belle pensée.
Jusqu'à présent, j'ai tout fait moi-même. J'ai toutefois l'intention de proposer à ma compagne des parties de chant dans les futures chansons de Fedrespor, même si je souhaite conserver la partie compositions et instrumentations. Nous verrons ce que l'avenir nous réserve !


Bukkehorn


Lyre de Kravik


Tagelharpa

 

Parcours musical / label

 

S. : Ton premier album est sorti chez Nordvis, label plutôt orienté metal extrême, bien que les sonorités folk n’y soient pas inconnues. On pourrait citer Forndom, Tervahäät, Lönndom ou encore Grift. Comment s’est fait le rapprochement avec Nordvis ?

J’écoutais déjà Grift et Forndom et j’ai cherché sur quel label ils étaient signés. J’ai alors envoyé un message à Nordvis et leur ai demandé s'ils cherchaient à signer de nouveaux artistes. C'était en 2017 ; je leur avais parlé de mon parcours et de la raison pour laquelle j'avais écrit les chansons sur Tid. Nous avons ainsi conclu un accord pour deux albums. La collaboration a très bien fonctionné et j'ai pu faire un concert avec Grift et Forndom à l'automne 2018, dans le mausolée d'Emanuel Vigelands, qui a été une expérience fantastique. Je l'ai publié numériquement.

 

S. : Tu n’es pas étranger au milieu du metal extrême, bien au contraire. A l’origine Fedrespor devait être un projet axé metal. Quel est ton parcours musical ? Quels sont les groupes que tu affectionnes le plus ? As-tu fait partie de projets, notamment Black Metal ?

C'est exact ! J'étais à l'origine compositeur et batteur pour le groupe de Black Metal SEKT. C’était le principal projet pour lequel j’ai participé. De façon plus secondaire, j’ai fait une intro avec ma Bukkehorn pour un groupe de Black Metal de Bergen (Kaldvard) il y a deux ans et j'ai testé la partie batterie pour un autre groupe appelé Dauden en 2015/2016. Mais SEKT était mon bébé quand j'étais plus jeune.
Toutefois les conflits au sein du groupe nous ont séparé et nous ne nous sommes jamais vraiment remis ensemble. Et nous ne reformerons probablement jamais le groupe. Ceci dit, j'ai toujours toutes les chansons dans les doigts pour pouvoir y revenir ultérieurement. Mais je suis quelqu’un qui a assez peu de temps libre, donc pour l'instant je m'en tiendrai à ce que je fais en ce moment.

 

S. : Quelle est ta vision de la scène Black Metal norvégienne, qui semble actuellement à bout de souffle, contrairement aux voisins Suédois et surtout Finlandais ?

Il y a beaucoup de bons musiciens intéressants. Mais c’est un peu toujours la même chose qui sort. J’attends toutefois plus de progression et d’évolution. Je sais que j'aurais essayé beaucoup de nouvelles choses si j'étais encore actif et que je composais du metal. Je ne pense pas que ça doive être aussi old-school. Mais ce n'est que mon opinion. J'aimerais entendre plus d’éléments nouveaux dans les compositions et le son des groupes si je pouvais en dire quelque chose. Mais que sais-je ? Peut-être qu’en ces temps de Covid-19 il se prépare des choses intéressantes dans les studios ?

 

S. : Fedrespor est un projet qui s’inscrit à 100% dans le genre Nordic Folk, dans le sillage d’un Wardruna. Quelles sont tes relations avec cette scène ? Quels groupes ont une influence sur ta musique ?

J'aime vraiment cette scène et je constate qu’un nouveau genre est en train de naître, tout comme le Black Metal l’a été dans les années 90. C'est donc un honneur de faire partie de cette scène. Wardruna a été pour moi une source d'inspiration depuis leur premier album en 2009. J'ai même eu l'occasion de l'écouter lors de ma visite chez Gaahl en 2008. Donc pour moi c'est surtout Wardruna qui a suscité mon intérêt pour l’utilisation de ces instruments en premier lieu.
Mais encore une fois, il y a de nombreux artistes talentueux en devenir que j'écoute de temps en temps.

 

Spiritualité / rapport à la nature / la Norvège

 

S. : La pochette de l’album montre un paysage typiquement norvégien, fait de fjords et de montagnes, qui fait écho au contenu de l’opus, à la fois dépaysant, intimiste, rustique et profondément nature-spirit. Quel rapport entretiens-tu avec la nature, qu’est-ce qu’elle symbolise pour toi ?

La photo a été prise à Besseggen dans le massif de Jotunheimen, lors d'une promenade dans la nature. Je crois qu'il faut environ sept heures pour gravir ces montagnes. La nature peut être utilisée et appréciée de bien des façons. Pour grimper et se dépasser, ou pour se ressourcer et méditer. Les montagnes m'ont toujours fasciné. C'est tellement brut et à la fois si paisible. Vous y apprenez à penser et à réfléchir. À bien des égards, cela symbolise pour moi les nombreux aspects de la vie, à ceci près que l’expérience est différente, elle est faite de sons et d’odeurs. La nature est mon refuge quand je cherche à reprendre des forces.

S. : D'ailleurs, l'illustration fait penser à celle de l'album Frost d'Enslaved. Clin d'oeil ou simple coïncidence ?

C’est une pure coïncidence.

 

S. : Quel est ton avis sur le « Friluftsliv » (le fait de passer du temps en plein air et de se connecter avec la nature), concept norvégien qui tend à se démocratiser ? Y vois-tu un phénomène de mode pour s’en vanter sur les réseaux sociaux, un réel besoin de se reconnecter avec les choses essentielles, quelque chose qui a toujours existé, un peu de tout ça ou autre chose ? Plus généralement, peux-tu décrire cette relation homme/nature en Norvège ?

C'est très différent d'une personne à une autre. Certains aiment un mode de vie plus urbain, pour ma part je préfère rester à distance, pour me préserver. Traditionnellement, en Norvège, nous aimons aller de temps en temps à la "hytta" (la cabane). C'est comme se rendre dans une résidence secondaire. On se sent en sécurité et cela nous donne assez d’espace pour s’éloigner du stress du quotidien. Ce rituel de recherche de paix intérieure est très humain je pense.

 

S. : D’ailleurs, pour en revenir à la pochette de l’album, c’est une photo que tu as toi-même prise ? C’était où ? A-t-elle une histoire particulière ?

Oui je l’ai prise moi-même. C’était une vraie épreuve de monter jusqu’ici. Comme dit plus haut, elle a été prise à mi-chemin du parcours de Besseggen, à Jotunheimen (Norvège). C’est un endroit populaire pour ceux qui aiment randonner en montagne.
L’histoire derrière cette image ? Eh bien j’étais en train de me promener avec mon frère et mon père lors d’une balade en famille. En fait, mon père m'a mis au défi de faire cette promenade. Alors bien sûr je n'ai pas pu résister ! Ce type de paysage représente ma façon de voir la vie. C'est quelque chose que vous devez grimper. Pour gagner en perspective, vous devez grimper et survivre.

 

S. : Pour être souvent allé en Norvège, surtout dans la partie Nord, ce pays me fascine. Il y règne une atmosphère particulière, chargée en émotions, on perçoit l’âme de la nature, à travers les paysages, le climat et les phénomènes naturels. Y a-t-il des endroits que tu préfères et que tu conseilles ?

Je suis définitivement connecté avec la nature. J'aimerais avoir plus de temps pour voyager et découvrir la Norvège. Je travaille en tant que technicien en réfrigération quand je ne fais pas de musique et cela me demande beaucoup d'énergie, aussi bien physique que mentale. Je serai donc plus en mesure de répondre à cette question à l'avenir.
Mais ce que je peux dire, c'est que les églises en bois, les musées et la nature que vous voyez lorsque vous conduisez du Sud au Nord peuvent être incroyables. Je citerais par exemple Telemark, où j'ai passé beaucoup de temps pendant mon enfance.

 

Concerts / Projets pour la suite

 

S. : Fra en Vugge i Fjellet est un album très intimiste et introspectif, qui s’écoute seul face à soi-même, afin que l’immersion soit totale. Je l’ai expérimenté à maintes reprises lors de mes sorties alpines, provoquant une sensation de transcendance cathartique couplé à un sentiment de plénitude. Malgré tout, as-tu déjà fait des concerts ou prévois-tu d’en faire ?

Oui, c'est sans aucun doute quelque chose que vous écoutez pour vous-même. Cela reflète mon temps d'isolement, je suppose. J'ai fait quelques concerts en cercle réduit et deux tout seul. Mais je suis en train de monter un groupe, j’y reviendrai prochainement. Je pense qu'ils se joindront à moi sur scène à l'avenir pour se produire.


S. : Cela fait à peine plus d’un an qu’est sorti ton premier album, le second est-il déjà en préparation ? Sera-t-il dans la continuité de son prédécesseur ou des nouveautés sont-elles à attendre ?

J'ai déjà écrit quelques chansons que j'ai l'intention d'enregistrer à l'automne ! Je ne sais donc pas exactement quand tout sera prêt, mais oui je confirme qu’un nouvel album est bien en route. Vous pouvez vous attendre à ce qu'il soit mieux produit, avec plus d'énergie que le précédent. Je ne dirai rien sur les titres pour l'instant, mais c'est plus intense. Il y a davantage d'éléments de Nordic Folk qu'auparavant, surtout pour les parties vocales. Dans l'ensemble, un paysage sonore plus riche et dense. J'ai vraiment hâte de le finir et de le partager!

 

S. : As-tu d’autres projets que Fedrespor dans les cartons, que tu souhaiterais évoquer ici ?

Oui ! J'ai rejoint le groupe de folk rock Vǫluspá. C’était à l’origine principalement pour assurer un poste de musicien live. Mais rapidement, je suis tombé profondément amoureux de la chanteuse, Sol Geirsdottir (The Viking Queen) et depuis elle fait partie de ma vie. Désormais, nous travaillons en étroite collaboration avec Vǫluspá et comme je l'ai dit plus tôt, elle a l'intention de me rejoindre au chant sur Fedrespor. Elle est une chanteuse talentueuse, donc je suis reconnaissant de pouvoir travailler avec elle.

Vǫluspá "Valfar" (Live at Midgardsblot 2019) :


Voluspa


S. : Cet échange arrive à son terme, comme le veut la tradition, je te laisse le mot de la fin !

Eh bien, vous pouvez vous attendre à pas mal de choses de ma part dans un futur proche. J'écris et je développe actuellement mes compétences instrumentales, vocales et de production. C'est donc sûrement une période passionnante qui se profile. Ce n'est que le début de mon parcours musical. Et je tiens à remercier mes fans et mes supporters d'être là et de partager mon art afin que je puisse toucher un public plus grand et partager avec eux.
Restez en sécurité, en bonne santé et ayez confiance en l'avenir.
Meilleures pensées à vous tous.

 

Pour aller plus loin :

https://fedrespor.bandcamp.com

https://www.instagram.com/fedrespor/

https://www.facebook.com/fedrespor/

https://nordvis.com/en/fedrespor-a-26