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4 albums pour se souvenir de Peter Steele (1962 - 2010)

mardi 14 avril 2020
Di Sab

Aujourd’hui, cela fait dix ans que Peter Steele nous a quittés pour de bon, 5 ans après avoir simulé sa propre mort via un hoax sur leur site internet. Ironiquement, c’est totalement sobre qu’il décède après avoir lutté contre ses addictions pendant plus de 20 ans. Seul dans son appartement de New York, loin des hôpitaux qu’il hait, il laisse derrière lui un héritage incomplet, incomparable, désormais mésestimé mais avant tout unique.

Du fait de son physique et sa personnalité, Peter Steele a été une des figures les plus singulières des années 1980-2000. A mon sens, deux choses principales caractérisent le Green Man : sa facilité à marier les contraires et la lisibilité de sa carrière artistique.

Ce n’est qu’une théorie mais selon moi, le fait que Type O Negative ait créé un univers qui unit des contraires et se complait dans ses contradictions est la plus grande force du groupe mais cela a peut-être nuit à sa pérénnité. Car Type O Negative, c’est aussi drôle que triste, c’est aussi sirupeux que hargneux, c’est aussi laid que sexy. C’est à la fois violent et doux, c’est tantôt une ode à la nature tantôt un hommage aux rues de New York. Et quand on est néophytes, il faut avoir le courage d'explorer cette diversité. En cela, les Américains se distinguent radicalement des Paradise Lost, des Katatonia ou des My Dying Bride qui ont construit un univers peut être plus cohérent, plus délimité mais à mons sens moins riche. La distanciation ironique face à ses démons dont s'est fait une spécialité Peter Steele est, à mon sens, la plus grande modernité du groupe. Et il suffit de traîner sur une page de memes pour se souvenir que les meilleures blagues sont en général sur nos propres failles, sur notre propre solitude, sur nos propres échecs et sur nos amour contrits. 

A l’extrême inverse, le parcours artistique de Steele est d'une extrême limpidité. On part d’un Crossover matiné de hardcore dans Carnivore pour aller vers ce metal velouté de la période dorée de Type O Negative pour finir sur une sorte de synthèse sous Xanax lors des deux/trois derniers albums de sa vie. Je suis convaincu que quelqu’un n’ayant jamais écouté quoi que ce soit de Peter Steele peut replacer tous les albums dans leur ordre de sortie après une écoute. Il y a, en effet, vraiment la notion d’étape dans sa carrière : chaque album étant nourri des expériences du précédent et amenant vers le suivant. 10 ans après son décès, (re)découvrons en quatre.

 

CARNIVORE - Retalition (1987)

Sorti en plein âge d’or du Thrash, Retalition est le second album de Carnivore. En plein New York, dans une époque où la vitesse est règne, Peter Steele sort un album qui colle à son époque, mais pas que.

Les fans de Thrash et de Hardcore préfèrent en général le premier Carnivore. Je les comprends, il est plus raw, il fait plus mal. Mais Retalition est à mon sens plus intéressant. On retrouve pour la première fois des éléments qui deviendront des poncifs dans Type O. Tout d’abord, l’intro.  Souvent hyper décalée chez Type O Negative (blancs, larsens, faux bugs, Spoken Word), ici on retrouve un type vomissant ses tripes pour la bien nommée Jack Daniel and Pizza. Peter signera également sa première reprise, un exercice dans lequel il excellera et qu’il pratiquera très souvent. Ici, ce sera Manic Depression (composée originellement par Hendrix). Enfin là où l’éponyme avait pour fil rouge un monde post apocalyptique livré à lui-même et au primitivisme retrouvé des humains, dans Retalition on retrouve ce fouillis thématique qui sera une constante future. C’est drôle, cynique, provocateur, plein de haine et de tristesse. On croise pêle-mêle des cathos névrosés, des restes de visions dystopiques, un mec ressuscité dont la chair contient l’âme de Jésus et celle d’Hitler et un hommage aux Etats Unis hyper réac, façon Starship Troopers, qui prend à contrepied l’idéologie dominante de la scène New York Hardcore.

Musicalement, on est sur un crossover franchement bien fait au-dessus duquel plane l’ombre de Sabbath (elle plane tellement que ces margoulins ont volé un riff). La prod ample et les mid tempos laissent tout de même présager ce que va devenir Type O.

Mais surtout, la scène Sludge a souvent revendiqué à quel point elle était tributaire de Peter Steele. Et bien que l’approche diffère, Retalition est un des premiers albums qui revendique le mélange entre des éléments Punk hardcore et Black Sabbath. Un album, vous l'aurez compris, riche, ayant exceptionnellement bien vieilli.


TYPE O NEGATIVE  - The Origin of the Feces (1991)


Le second album de Type O Negative n’est ni le plus accessible ni le plus reconnu mais c’est sans conteste l’un des plus intéressants.  Sorti seulement un an après le premier (Slow Deep and Hard) et un an avant Bloody Kisses, il est né de la volonté de Roadrunner de proposer un album de transition et du désir du groupe de répondre aux accusations de sympathie pour le nazisme. Le premier album contenait en effet le titre Der Untermensch (le sous-homme en allemand) ce qui leur a fermé les portes de la quasi-intégralité de l’Europe pour leur première tournée. 

Deux grandes particularités : la pochette qui a été immédiatement censurée et le fait que cet album soit en fait un faux live. Le groupe a réenregistré une grosse partie du premier album en rajoutant une cover de Black Sabbath et un titre et a intégré de fausses interactions avec un public qui les conspue et les insulte. Pour la petite histoire, en hommage à cet album, les fans ont pris l’habitude de scander you suck quand le groupe entrait sur scène.

Il me semble utile de glisser un petit mot sur les ajouts par rapport à Slow Deep and Hard : On retrouve tout d’abord une transition intitulée Are you Afraid. Interlude voix / claviers, Steele endosse pour la première fois ses habits de crooner sombre qui seront une des marques de fabrique du Type O Negative à venir. La reprise de Black Sabb’ est dans cette veine-là également : hyper ralentie, lancinante, elle préfigure la direction artistique qui deviendra celle des New Yorkais pour les albums à venir.

The Origin of Feces n’est pas resté dans les annales comme le meilleur Type O Negative mais j’ai une affection énorme pour lui. L’ajout des huées du public, de la fausse alerte à la bombe et des invectives de Peter donnent de l’épaisseur aux titres Punk Hardcore tandis que les influences doom commencent à poindre. Ces raisons font que j’y retourne bien souvent, à l’inverse du délaissé Slow Deep and Hard. L’album qu’il vous faut pour (re)découvrir le Type O Negative vieille école tout en ayant quelques clés de compréhension pour la suite !

October Rust - 1996

Sans contexte le plus bel album de la carrière de Steele. La période 93 – 98 est vraiment l’apogée du groupe, d’un point de vue critique comme commercial. Il est d’ailleurs toujours amusant de se rappeler que dans les années 90, il était possible de vendre un album de metal de plus d’une heure avec des titres d’environ 7-8 minutes par centaines de milliers d’exemplaires.

La doublette Bloody Kisses / October Rust est l’âge d’or de Type O Negative. Le premier a permis au groupe d’exploser en termes de popularité notamment grâce à Black N°1 et Christian Woman. La polyphonie Steele / Hickey et le juste dosage des ambiances sont pour beaucoup, à mon sens, dans le succès de ces titres. OctoberRust va vraiment explorer cette voie et plonge l’auditeur dans cette espèce de « doom » lubrique où les ombres toujours omniprésentes sont plus synonymes de désirs et de mystères que d’inquiétude et d’angoisse.

La grande intelligence de cet album, c’est d’avoir mélangé l’hommage à la chair avec l’ode à la nature dans cette dyonisie sonore où In Praise of Bachus résume l'ambition et la direction artistique de l'opus. On peut également penser à Rubens et à ses personnages bien en chair, gorgés de vie et de désirs dans une nature touffue. L’écoute d’October Rust provoque un peu les mêmes sensations que face à une toile du maître néerlandais : on oscille entre de l’admiration et aussi une forme d’indigestion tant le propos est lourd, chargé : l’album est en effet aussi beau que long, les pistes s’éternisent et à part le hit My Girlfriend’s Girlfriend, on est sur des titres compacts, qui prennent leur temps, s’étirent, se prélassent. The Wolf Moon en est l’exemple parfait : il est construit comme un titre efficace : structure simple, refrain catchy mais… il dure presque 7 minutes.  

October Rust est un album magnifique. C’est de loin l’album le moins sombre de Type O Negative mais le parti pris d’avoir travaillé la dimension sexy et généreuse de leur musique a vraiment bien marché. Mais comme toute médaille a un revers, c’est un album très chargé qui prend son temps et qui peut dégoûter les adeptes de l’efficacité et du dépouillement.

Life is Killing Me - 2003

En travaillant sur ce dossier, j’ai appris que Life is Killing Me aurait dû s’appeler initialement The Dream is Dead (dernière track de l’album). Mais au dernier moment, Peter, de peur que les fans interprètent ce titre comme la fin de Type O, a changé d’avis et lui a donné ce nom oxymorique. C’est assez drôle car cette appellation résume bien l'opus.  En effet, d’un côté, Life is Killing Me porte en lui cette idée de fin. Fin de la collaboration avec Roadrunner (leur label depuis le début), dernier album avant le chant du cygne Dead Again, pochette qui montre le passage de la vie à la mort... Un parfum de caveau malheureusement prémonitoire imprègne cet album. Mais de manière totalement paradoxale, comme toujours vous l’aurez compris, c’est un opus qui retrouve aussi un souffle vital via notamment la réintégration d’éléments punks et de titres rapides. Le prédécesseur, World Coming Down, nous avait pourtant plongés au plus profond du mal-être de Type O Negative avec une succession de titres d’une funèbre lenteur au-dessus desquels planaient la mort et les luttes toujours malheureuses contre les addictions. Life is Killing Me est plus équilibré et fait un peu office de synthèse. On retrouve à la fois ces titres rapides et caustiques tout en riffs qui rappellent l’aube de Type O Negative comme ces somptueux hymnes spleenétiques bardés de synthés qui renvoient aux dernières productions du groupe.

Etrangement je n’ai jamais eu l’impression que Life is Killing Me soit perçu rétroactivement comme un incontournable du groupe. On a souvent tendance à le résumer à I Don’t Wanna Be Me et Anesthesia alors qu’il contient une partie non négligeable de mes titres préférés de Type O : Nettie, We were Electrocute, …A Dish Best Served Coldly. Il n’est pas plus long que les autres mais les titres étant plutôt courts, Life is Killing Me a le défaut de contenir 15 titres ce qui nuit considérablement à son homogénéité. Il reste néanmoins un album globalement excellent : plus facile d’accès, il peut faire office de très belle porte d’entrée pour ceux qui souhaitent se replonger dans Type O Negative.

 

En ce 14 avril 2020, Peter Steele nous a quittés depuis 10 ans. Ce vide peut laisser songeur. D’une part, cela ancre définitivement Type O Negative dans une époque révolue et cette patine, à mon sens, sied au groupe. Trop nombreuses sont les légendes des années 90 qui surnagent en faisant revivre chaque soir des morceaux de vie d’une époque enterrée depuis trop longtemps. A l'inverse, Type O Negative est désormais lié à jamais à ces temps que je n’ai connu et ce n'est peut être pas plus mal après tout.

Cependant, la figure de Steele aurait pu résonner de manière particulière au sein de cette époque où la bêtise est toujours plus outrancière et où le rire et le désespoir s’entrelacent. Dans les années 90, Type O Negative a sorti un t shirt « Type O Negative is to blame for.. » avec une liste contenant notamment la guerre du Vietnam, le déficit budgétaire, la Crucifixion du Christ, le Sida et Bill Clinton. Il y a fort à parier qu’en 2020, Peter Steeleaurait accepté avec plaisir d’être tenu pour responsable de la pandémie actuelle et du difficile approvisionnement en masques.

 

R.I.P Peter Thomas Ratajczyk 1962 – 2010