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mercredi 3 juillet 2019

Colloque ISMMS (International Society for Metal Music Studies)

Lieu Unique - Nantes

Dolorès

Non.

Nantes est une ville qui attire. Culturellement, personne n’oserait dire qu’on s’y ennuie, et le mois de juin en est une preuve suffisante. Le grand public profite d’une multitude d’expos qui ouvrent (Amazonie au Château des Ducs de Bretagne) jusqu’au Sofilm Summercamp et actuellement le Voyage à Nantes, certes, mais la région nantaise est bien évidemment principalement animée par une émotion à mi-chemin entre la folie et la fierté quant à l’approche du Hellfest qui se déroule dans le vignoble. L’événement est devenu connu de tous, et les semaines qui le précèdent voient un nombre incalculable de références ou de réponses à l’événement s’implanter dans le quotidien de tous.

Pour la première fois cependant, les quelques jours précédant le festival ont été l’occasion de se rendre au Lieu Unique, lieu de fête mais aussi de culture et d’art emblématique de la ville de Nantes. Du 17 au 20 juin, se déroulait le colloque de l’ISMMS (International Society for Metal Music Studies), 4ème biennale accueillant plus de 80 conférenciers. Chercheurs en sciences humaines et sociales mais aussi passionnés du monde entier (issus de 25 pays différents) ont présenté des communications sur des sujets variés et parfois extrêmement pointus !

L’ISMMS est une association internationale qui permet à ces chercheurs, qu’il s’agisse de sociologues, d’historiens, de musicologues ou de bien d’autres spécialistes, d’échanger et de se réunir. Après les Etats-Unis, la Finlande et le Canada, c’est la France qui a été choisie, et la décision d’investir les quelques jours précédant le Hellfest n’est bien sûr pas anodine.

 

Chaque jour, des sessions d’une heure et demi s’enchaînent sur des thématiques variées. Au total, 20 sessions auront été proposées, entourées d’autres éléments : interventions extérieures de personnalités locales comme Yoann Le Nevé du Hellfest ou Olivier Piard de la Scène Michelet, débats (« Black Metal Theory »), ou encore sorties et animations réservées ou non aux chercheurs (concerts à la Scène Michelet et au LU, visite de l’expo « Rock ! » au Château des Ducs de Bretagne, mix vinyle par l’organisateur de l’événement Gérôme Guibert, ou encore la sortie du numéro de la revue Volume ! « Paradoxal metal. Entre pratiques ordinaires et représentations transgressives »).

Toutes les sessions de conférences sont gratuites, dans la limite du nombre de sièges disponibles. C’est à la fois une chance de pouvoir écouter ce savoir et ces réflexions de manière tout à fait libre, et une hallucinante surprise de voir que les salles sont désertées. Les chercheurs viennent assister aux conférences de leurs confrères, mais les visiteurs nantais, curieux ou spécialistes, sont absents. J’ai croisé très peu de têtes connues et certaines sessions étaient bien vides.

Je ne comprends absolument pas ce manque d’intérêt de la part du public nantais, qui a la chance d’assister gratuitement à un colloque aussi intéressant, avec de nombreux horaires et thèmes différents, dans un lieu accessible du centre-ville. Entre ceux qui n’en ont pas entendu parler (très peu de communication autour de l’événement, beaucoup de gens n’étaient pas au courant de l’existence du colloque ou au dernier moment) et ceux qui prévoyaient d’avance que les sessions seraient inintéressantes ou à côté de la plaque dans une forme d’élitisme ridicule… Je vous le dis : vous avez clairement loupé quelque chose.

Et pourtant, je n’ai pu voir que 5 sessions au total, le mardi matin et une partie du mercredi, mais j’aurais aimé en voir davantage. J’ai notamment loupé les communications de Deena Weinstein et je le regrette, car la sociologue américaine de 76 ans impose le respect et représentait en quelque sorte la tête d’affiche du colloque.


 

Mardi 18 juin

9:00 AM • Session 6 - Local metal scenes characteristics (2) (Room 2 - Salon de Musique)

L’autre thématique qui prenait place au même horaire, dans l’autre salle, m’intéressait également mais je prévois déjà, à ce moment-là, d’aller voir des conférences sur la même thématique de Metal & Gender le lendemain matin. Je me dirige donc vers la salle 2 pour écouter trois communications sur les caractéristiques des scènes locales.

Emmanuel Ferragne (Université Paris Diderot, France) ouvre le bal en présentant le travail de son étudiante Coline Caillol, malheureusement absente : « Britishness in British heavy metal : a sociophonetic perspective ». Bien que les deux premiers intervenants de la session soient francophones, la session est entièrement en anglais comme la majorité des journées (contrairement à quelques sessions qui ont été proposées en français). Dans le genre étude pointue, on y est. L’étude se focalise sur la prononciation des mots en anglais (à partir de 4 critères définis) par les premiers groupes de Heavy Metal anglais : Iron Maiden, Black Sabbath, ou encore Def Leppard. Malgré une prononciation à l’américaine, qui inscrit les premiers groupes de Heavy Metal dans un phénomène plus large d’américanisation de la musique anglaise pop pour des raisons sans doute marketing ou encore de facilité de prononciation. En effet, la majorité des paroles de ces groupes, qu’il s’agisse des textes des morceaux ou des interviews, ont tendance à laisser de côté l’accent du Nord de l’Angleterre. Paradoxal quand on voit à quel point ces groupes peuvent pourtant soutenir une identité bien anglaise à coups de drapeaux et d’autres motifs, ou encore des thématiques abordées dans les textes ! Il s’agissait de l’une des conférences les plus intéressantes de ces deux jours selon moi, j’y découvre au passage la sociophonétique et le type d’étude qui s’y retrouve liée, et je sens déjà que les sessions vont me plaire.

Etudiant du point de vue archéologique et historique les peuples celtiques, j’attendais avec impatience la communication de Maëlle Robert (Université de Rennes 2, France) : « How is Irishness expressed in Irish metal ? ». Dans la continuité de la communication précédente, Maëlle Robert explique comment l’Irlande est fortement liée à sa musique, puis comment le Metal irlandais se place par rapport à l’identité culturelle irlandaise, notamment en étudiant les groupes Cruachan, Laochra et Celtachor. Ceux-ci ainsi que d’autres groupes adoptent des symboles de l’Irlande, s’implantent dans le contexte historique de l’île, choisissent des noms empruntés à la mythologie irlandaise, représentent des symboles visuels et des paysages verts ou littoraux dans leurs artworks… Une vision nostalgique d’une Irlande idéalisée et finalement fantasmée, mais aussi la manifestation d’un intérêt sincère envers l’identité nationale et les questions que celle-ci englobe et amène.

Pour terminer cette session, Didier Goossens (KU Leven, Belgique) présente « Oriental Metal: comparative discourse analyses of central and peripheral extreme metal bands ». Je ne suis malheureusement pas sûre d’avoir tout compris à cette communication, si ce n’est qu’il s’agissait pour Didier Goossens de présenter les premières étapes de son travail, à peine entamé, concernant les discours que certains groupes périphériques, comme ceux étiquetés « Oriental Metal », choisissent d’adopter dans leur communication pour toucher les marchés européens ou américains. Ce type de communication rappelle que le colloque s’adresse quand même principalement aux chercheurs eux-mêmes, venus assister aux communications et non seulement présents pour présenter la leur. Car souvent, c’est la méthodologie de leur étude qui est longuement présentée, puis discutée dans le temps des questions qui suit. C’était le cas ici, et l’occasion pour Didier Goossens de présenter pour la première fois publiquement le travail qu’il entame, ce qu’il rappelle plusieurs fois au cours des 20 minutes pour exprimer toute sa gratitude d’être là, d’être écouté et d’être questionné : assez touchant !

10:30 AM • Session 8 - Local metal scenes characteristics (3) (Room 2 - Salon de Musique)

La première m’ayant bien plu, je poursuis sur la thématique des caractéristiques des scènes locales.

L’ordre d’origine des communications est modifié, et ce sont Jeremy Wallach et Esther Clinton (Bowling Green State University, Etats-Unis) qui débutent avec « Metal Rules the Globe, or does it ? The limits of a Proud Pariah’s music ». Malheureusement, leur prononciation et l’absence de présentation visuelle associée m’empêche de comprendre entièrement les phrases et surtout, où ils veulent en venir. Mais globalement, cette conférence s’attache à réfléchir autour du lien entre metal et politique, en s’attardant principalement sur l’exemple de l’Indonésie. Joko Widodo, appelé Jokowi, en est actuellement président et fan de metal, ce qui est souvent rappelé pour lui donner une image populiste. J’ai malheureusement oublié une bonne partie de la conférence qui expliquait l’historique de cette musique en Indonésie, des origines à aujourd’hui, et les liens avec la politique et notamment le président. Jeremy Wallach est un anthropologue spécialisé dans les musiques populaires en d’Asie du Sud-Est, co-éditeur du bouquin Metal Rules the Globe: Heavy Metal Music around the World, donc si le sujet vous intéresse je vous conseille de vous procurer l’ouvrage !

Dawn Hazle (University of Nottingham, Royaume-Uni) étudie le Heavy Metal russe et la jeunesse soviétique dans les années 80. « An Economic Sputnik: Russian Metal Music as a Barometer for Russia’s Economic Rollercoaster » met en parallèle le développement du Metal en URSS et l’histoire socio-économique, une présentation au rythme soutenu mais passionnante ! Des premières difficultés, entre absence de technologie, CDs au marché noir et groupes reconnus officiellement ou non, les réformes de Gorbachev ayant pris effet autour de 1986 ont permis aux groupes de s’affirmer, de prendre des libertés, et surtout d’être payés pour leur musique. La scène metal s’est ainsi développée, notamment Thrash et Heavy, avec une certaine exportation aux Etats-Unis et beaucoup de groupes s’étant mis à chanter en anglais. Le système soviétique, à ce moment-là, permettait même aux musiciens de vivre de leur musique de manière tout à fait légale et officielle, tandis qu’écouter certains groupes occidentaux restait pourtant interdit. A l’inverse, la chute de ce système soviétique a vu s’installer un hypercapitalisme, l’importance de l’argent étant tout à fait incompatible avec la vie que les musiciens menaient avant cela. Soudainement, les petits groupes et une partie des plus gros disparurent, confrontés à un monde différent de celui qu’ils connaissaient, extrêmement compétitif et laissant finalement peu de groupes de cette époque toujours en activité. Un peu difficile à suivre mais beaucoup d’informations pertinentes et une présentation maîtrisée !

La matinée se termine avec la présentation de Qiran Wang (Beijing Normal University, Chine) intitulée « “Discreet Aristocrat”: A Quantitative Survey on Heavy Metal Heads in Universities in China ». C’est extrêmement dommage que Qiran Wang ne maîtrise pas la langue anglaise et que sa présentation visuelle n’ait été presque uniquement que du texte qu’il lisait parfois rapidement, et qu’il soit passé si rapidement sur les tableaux de données qu’il expliquait si peu. Si j’ai bien compris, son analyse portait sur des étudiants chinois et leur rapport au metal, ainsi que l’étude de l’incidence de certains points de leur vie quotidienne sur leur passion ou l’inverse. L’étude portait sur 9 universités chinoises, avec 1666 réponses obtenues. L’idée était aussi de comparer les résultats avec ceux de personnes écoutant d’autres styles : Pop, Jazz, Classique, Folk… Les résultats tendent à montrer que les jeunes amateurs de Metal en Chine sont de « discrets aristocrates », nécessitant souvent un bon niveau de vie pour s’offrir le luxe de CDs, tshirts, etc, se liant peu aux autres jeunes et aux activités sociales communes, mais ayant souvent de très bons résultats malgré une consommation d’alcool et de cigarettes plus élevée. Dans les universités, il est par ailleurs interdit (ou en tout cas très peu toléré ?) de porter les cheveux longs ou de porter des tatouages, ce qui leur donne une image très différente des jeunes écoutant du metal dans les pays occidentaux par exemple, un schéma finalement très différent.

Malheureusement, je ne peux pas rester pour les conférences de l’après-midi car il y a toute la soirée « after de colloque » à préparer à la Scène Michelet : un concert à prix libre avec les « légendes » locales Stinky (Hardcore) et Enlightened (Stoner/Prog), où une bonne partie des conférenciers se rendront pour découvrir la scène locale après une journée aussi remplie.

 

Mercredi 19 juin

9:00 AM • Session 14 - Metal & Gender 2 (Room 2 - Salon de Musique)

Dans l’autre salle, la thématique est Music & Religion, autant dire qu’il y a vraiment des thématiques larges et passionnantes et qu’il faut malheureusement faire des choix. J’étais toutefois un peu obligée de me rendre à l’une des conférences sur Metal & Gender, ayant loupé celle de la veille. Là, on entre malheureusement dans les sujets fascinants mais pas simples à présenter.

La preuve, Rosemary Lucy Hill (University of Huddersfield, Royaume-Uni) est très émue en ouvrant la journée avec « Is male sexualised violence towards women normalised in metal music? ». Entre féminisme et musique, la communication permet de rappeler les différentes formes de violence dirigées vers les femmes dans les musiques rock et metal, et notamment dans la manière d’évoquer les femmes dans les paroles qui tend à normaliser et légitimer ces violences. La conférence a simplement pour but de rappeler ce que beaucoup savent déjà dans la salle, et d’évoquer que ces propos ne sont pas anodins et s’étudient dans un large phénomène où, clairement, nous n’avons pas besoin de ça. Une objectification des femmes, muettes, absentes et maltraitées, dans un monde où une femme sur trois connaît une violence sexuelle, et dans une culture metal déjà largement misogyne sur tous les plans, ce serait clairement le moment de s’en détacher, non ? Malheureusement, et contrairement à ce que le titre de la communication prévoyait et au sujet de son bouquin Gender, Metal and the Media: Women Fans and the Gendered Experience of Music, la présentation de Rosemary Lucy Hill porte principalement sur les textes de groupes de rock. Dommage, car il y a clairement des choses à creuser et à présenter côté metal qui soient aussi violentes, si ce n’est pire…

La seconde communication m’intéressait même davantage, forcément lorsqu’on lit le titre « My question is more metal than yours! Gender inequality in metal music journalism ». Toutefois, Gracielle Fonseca Pires et Pauwke Berkers (Université de Rotterdam, Pays-Bas) n’abordaient finalement pas ce que j’avais cru imaginer en lisant la thématique, c’est-à-dire la discrimination des femmes dans le milieu journalistique, côté journalistes ! En effet, leur étude porte plutôt sur la discrimination des femmes interviewées, en s’intéressant aux questions posées, aux manières de poser la question, aux sous-entendus que ces questions proposent, etc. Ils ont étudié les nouveaux groupes, référencés sur Metal Archives comme ayant débuté entre 2010 et 2015 (avec un total de 1572 groupes comptant des femmes, bien que Metal Archives ne soit pas exhaustif et que des questions des limites dans les styles, notamment, se posent). Au-delà de l’aspect quantitatif, c’est l’aspect qualitatif qui est analysé. Dans les 1572 groupes, ils se sont intéressés à 29 groupes ayant répondu à des interviews. Finalement, je ne vous apprends rien en vous disant que les femmes sont sollicitées pour des questions qu’on ne poserait jamais à des hommes, concernant leur apparence ou leur vie de famille par exemple. Dans ces interviews, des termes connotés plutôt positivement au premier abord, sont souvent noyés dans un propos plutôt négatif. Exemple donné lors de la conférence, une question posée à une femme étant : « Nowadays, women are invading the rock n’ roll scene, what was not common on early days. There are very talented Brazilian bands [with women on their lineups]. What is your opinion about it ? What has caused this « invasion » ? ». Le terme « talentueux » qui leur est apposé est finalement noyé dans des propos qui remettent en question leur légitimité, utilisant des termes comme « envahir » qui signifient une appropriation illégitime là où on n’aurait, à l’origine, pas sa place. Le simple fait de mentionner qu’il existe des « groupes très talentueux avec des femmes » semble sous-entendre que c’est improbable ! Ils rappellent également que c’est encore davantage embêtant dans le genre du journalisme musical ou culturel que dans sa facette traditionnelle, puisque les journalistes sont finalement vus comme des figures d’autorité dans leur domaine, proposant de partager des goûts et des intérêts, mais aussi des idées et des valeurs, ce qui peut rendre la chose dangereuse ou en tout cas critiquable dans certains cas. Je crois, heureusement, qu’on n’a pas trop à s’inquiéter de ce souci dans nos propos sur Horns Up !

10:30 AM • Session 16 - Local metal scenes characteristics (3) (Room 2 - Salon de Musique)

Alors oui, la thématique est intéressante. Je me rends encore à une session dans la continuité de celles de la veille, et je commence à bien connaître la « salle 2 », n’ayant encore jamais mis les pieds dans la « salle 1 », pourtant plus grande ! Toutefois, je me voyais mal louper les interventions suivantes.

Jan Herbst (University of Huddersfield, Royaume-Uni) propose « Teutonic Metal Attack. Power Metal in and from Germany », et si je ne pensais pas que cela m’intéresserait plus que ça, c’est tout à fait passionnant et il a une certaine rigueur dans sa présentation qui permet de rendre son propos extrêmement clair et structuré. Il y évoque le développement du Power Metal en Allemagne dans les années 80. Vu l’abondance de CDs à cette période dans le style metal, il était temps pour certains d’essayer de percer à l’étranger et notamment au Royaume-Uni, et ils ont ainsi mis en place différentes stratégies pour y parvenir, avec plus ou moins de succès ! Avec pour corpus 426 revues de Metal Hammer (le mag allemand) et presque 1000 de Kerrang ! (anglais), sur des périodes allant de 1984 à nos jours, rien que ça ! Parmi ces stratégies : engager un chanteur qui parle anglais couramment, ce qu’a fait Accept en se séparant d’Udo Dirkschneider pour cette raison, réalisant toutefois tardivement que la stratégie n’avait pas fonctionné. Helloween, quant à eux, auront choisi d’assumer un style complètement allemand, plutôt que de tenter de copier les groupes étrangers, bien que cela n’ait fonctionné qu’un temps. Enfin, la voie de Grave Digger, finissant par retourner à son style typiquement allemand sans tenter d’édulcorer ou de modifier leur musique pour plaire à l’étranger, tout comme Running Wild qui n’ont pas bénéficié d’un succès médiatique important. Pourtant, aujourd’hui les groupes continuent de voir leur succès s’étendre et leur image perdurer, grâce à la loyauté des fans allemands. Finalement, la stratégie qui aura le mieux fonctionné aura été de d’abord s’adresser aux fans de leur pays au lieu de chercher à satisfaire des goûts américains ou anglais.

La communication très attendue, pour certains, de Mei-Ra St Laurent (Université Laval, Québec) portait sur « Proud Patriot’: Analysis of the phonographic, paraphonographic and identitybased narrative of the patriot’s figure in Métal noir Québécois’ repertoire and community ». Autant dire que le sujet m’intéressait beaucoup et que je n’ai pas été déçue ! Elle exploite pour son sujet de thèse plus de 600 pages de retranscription d’interviews avec des membres des groupes de Métal Noir Québécois datant d’entre 2015 et 2018, dont les résultats sont restitués de manière anonyme et globale, et de sacrées recherches autour du patriotisme québécois dans son histoire et jusqu’à nos jours. Elle y analyse où se placent ces groupes quant aux événements de la Rébellion des Patriotes, dans les années 1837-1838, et la figure du patriote indépendantiste qui vit encore aujourd’hui. Elle s’aide pour cela des manières de composer et de chanter, des textes des groupes, les images présentes dans les artworks, etc. J’espère lire sa thèse un jour, car la communication n’est bien sûre qu’une simple porte d’entrée vers ce travail de recherche.

La dernière communication est celle de Jo Yao Huang (National Taiwan University, Taiwan) : « Singing Whose Voice? The Construction of Cultural Identity in Taiwanese heavy metal music ». Comme hier avec la présentation de Qiran Wang, la difficulté de parler (et répondre aux questions posées) en anglais semble être une sacrée barrière pour que tout soit clair, bien que ce soit plus compréhensible que la veille. A Taïwan, le Heavy Metal s’est développé à la fin des années 80. En 1987, la loi martiale tombe et la censure gouvernementale en prend un coup, ce qui permet aux labels étrangers de s’implanter et de modifier le paysage musical taïwanais. Jo Yao Huang étudie, à travers des groupes comme Chthonic et Flesh Juicer, comment les groupes se sont approprié les codes de cette musique et leur manière de refléter leur identité taïwanaise. Et on remarque finalement que les codes habituels de la musique metal (d’une histoire racontée par les dominants et les hommes notamment) sont repris pour être collés sur la culture taïwanaise, alors que l’histoire est différente (colonisation japonaise par exemple).

 

3:00 PM • Session 17 - Black metal : tradition and transgression (Room 1 - Foyer Haut)

Je loupe les communications du midi sur l’Amérique latine le temps d’aller manger, et me revoilà pour les dernières conférences que je verrai, un sujet qui s’annonce passionnant.

Avant de s’attaquer à des sujets plus difficiles, Flavio Pires (Université de Porto, Portugal) ouvre la séance avec son étude « Locating Black Metal through its album covers: A Romantic inheritor? ». Le doctorant met en parallèle le Black Metal (et notamment les pochettes d’albums) au mouvement romantique, dans leurs caractères communs (ou en tout cas comme l’un descendant de l’autre), d’un point de vue quantitatif et qualitatif. Ces caractères communs sont : une recherche de la réaction émotionnelle, un respect de la beauté de la nature, une nostalgie du passé dont une fascination pour la période médiévale, et une curiosité envers l’occulte, le surnaturel et le terrifiant ou la présence de la nuit. L’étude quantitative permet également de remarquer que les œuvres de certains artistes ont été très empruntées par les groupes de Black Metal comme celles signées Gustave Doré ou Theodor Kittelsen, tandis que d’autres créent de toute pièce un artwork qui représente souvent plusieurs des points abordés par le Romantisme, cités précédemment. La présentation étant plus une étude préliminaire qu’une communication autour des résultats réels, ce sont pour une fois les questions que j’ai trouvées les plus intéressantes, à la fin de la conférence. Des personnes dans le public font remarquer que le romantisme est déjà une vision fantasmée du Moyen Âge, et que le Black Metal est également dans la continuité, constituant une vision fantasmée d’une vision fantasmée ! Quelqu’un d’autre rappelle qu’utiliser ces artistes libres de droit est une question de facilité et de simplicité pour de nombreux groupes qui débutent.

Moins connu, le Black Metal en Turquie n’est pourtant pas nouveau. C’est Douglas Mattson (Södertörn University de Stockholm, Suède) qui, peu habitué aux milieux « metal », vient nous parler de « Spreading VX-Gas over Kaaba. Black metal and local transgression in Turkey ». Plus rare que la facette antichrétienne, la facette anti-islamique est apparue en Turquie sous forme de tendance, que les groupes ont suivi. Cette tendance évolue par ailleurs en parallèle de la société turque et de son histoire : d’un Black Metal anti-islamique discret à une interdiction à la suite d’un faits divers ayant impliqué des membres de ces groupes, jusqu’à un renouveau beaucoup plus assumé dans la violence des propos malgré une culture conservatrice et le parti AKP au pouvoir. Le titre de la communication, « Spreading VX gas over Kaaba » étant le titre d’une chanson de Sarinvomit, reprenant les symboles de l’Islam comme beaucoup de ces groupes qui s’attaquent aux minarets, mosquées, etc. Je pense suivre les travaux de Douglas Mattson car c’est passionnant !

C’est Laurent Beauguitte (CNRS, France) qui ferme ma série de conférences, car je ne pourrai malheureusement pas assister aux suivantes. Le manque de temps n’aura pas permis à Laurent Beauguitte de terminer entièrement sa communication « Three NSBM circles, between local ancrage & global network », et je n’aurai pas tout à fait compris où il venait en venir si ce n’est présenter sa méthodologie. En s’intéressant à trois cercles (BlazeBirth Hall en Russie, Southern Elite Circle en Argentine et Darah & Maruah Movement en Malaysie), et en analysant les données issues des line-ups, des labels et des artworks, cette étude permet de mettre en évidence deux schémas. Le premier est celui issu des cercles comme le Black Metal l’entend, assez ordinaire : peu de membres en tout, où tout le monde joue dans le groupe de l’autre ou propose un one-man band dans une dynamique assez fermée, avec la création de leur propre label par exemple et quand même des collaborations comme des splits avec des groupes étrangers. BlazeBirth Hall et Southern Elite Circle correspondent à ce schéma. A l’inverse, le cercle malaysien s’inscrit plutôt dans la continuité des réseaux skinheads, où les groupes sont nombreux et variés en s’étalant du Black Metal au RAC en passant par le Thrash et d’autres sous-genres du Metal, dans une image bien moins fermée donc. Une thématique intéressante mais une communication maladroite !

 

Lors de ces deux jours, j’ai malheureusement éprouvé des difficultés à tout comprendre. Le vocabulaire est parfois très précis, et entre les différents accents et les facilités de chacun en anglais, la vitesse de leur parole et la complexité du domaine, il était parfois difficile de suivre même en comprenant bien l’anglais.

J’ai par contre été agréablement surprise par les différents profils des chercheurs, allant de spécialistes à des passionnés parfois impressionnants, des jeunes à des moins jeunes, ou encore une relative égalité numérique entre hommes et femmes, tant dans les conférenciers que dans le public ! On sentait également une grande bienveillance entre les différents chercheurs, et dans leurs échanges avec le public, que ce soit au LU ou lors de la soirée à la Scène Michelet que j’ai pu observer.

Je reste surprise et même déçue que peu de public nantais se soit déplacé pour ces conférences. Certes c’est en semaine et en journée, pour la plupart des sessions, mais je connais un tas de gens qui ne travaillent pas et qui me semblaient intéressés par l’événement. C’est vraiment dommage pour eux, j’espère de mon côté assister à plus d’événements de ce type à l’avenir.

Le prochain colloque ISMMS aura lieu à Mexico, « Heavy Metal Music in the Global South » !

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Crédits photos : Corentin Charbonnier