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dimanche 25 mars 2018

Throane + Shantidas @ Les Voûtes

Les Voûtes - Paris

S.A.D.E

Chroniqueur doom, black, postcore, stoner, death, indus, expérimental et avant-garde. Podcast : Apocalypse

Lorsque j'avais vu sur les Internets l'annonce de la date dont il est question ici, une équation toute simple s'est imposée à moi : Throane + Les Voûtes = potentiel énorme. Si les deux premiers albums du projet de Dehn Sora étaient déjà des arguments amplement suffisants pour me convaincre de me rendre au concert, savoir que le dit concert allait se dérouler dans ce lieu si insolite et intimiste que sont les Voûtes, voilà qui ne me laissait, pour ainsi dire, plus le choix. Situées dans le 13e, à proximité immédiate des Frigos, en contre bas de la route, et pour être plus précis, sous la route, les Voûtes se présentent comme deux tunnels, possiblement des anciens lieux de stockage, l'un réservé au bar et au merch, l'autre, en pierres apparentes, étant la salle de concert. J'y avais déjà vu Year Of No Light il y a quelques années de ça, et il est clair que l'ambiance de la salle avait conféré à cette date un aspect magique et puissant. C'est donc avec des attentes assez énormes que j'arrive dans le froid de ce vendredi soir pour l'amuse-bouche de la soirée.

En effet, avant les deux concerts du jour, l'orga nous propose la diffusion d'un documentaire, Poglos / Reverberation de Radek Sirko, présentant des performances noise captées sur le territoire de la Silésie (entre la Pologne, l'Allemagne et la République Tchèque). Cinq performances assez différentes, allant du Harsch Noise Wall absolument monolithique à des atmosphères plus variées (mais jamais réellement plus agréables), filmées entre paysages urbains en démolition et nature primaire contrastant avec les abominations musicales proposées. Parce que oui, ce qui nous est proposé est (volontairement) inaudible. Ca crache, ça larsen, ça grésille, ça bourdonne, c'est en permanence hostile et repoussant, tout en étant d'une certaine manière fascinant : voir ces types faire du pur bruit, installés au milieu de rien avec leurs machines à lacérer les tympans et leurs enceintes, est quelque chose qui semble aussi absurde qu'intrigant. Reste que si la dernière performance n'avait pas été la dernière, je serais allé prendre un peu l'air : tout intéressants que soient les concepts derrière cette approche de la musique, ça reste du bruit désagréable.

 

SHANTIDAS
 

Après cette entrée en matière, vient le premier concert de la soirée, Shantidas. Projet d'une moitié d'Aluk Todolo, Shantidas est une expérimentation noise, mais bien plus accueillante que les performances du documentaire. Armé de deux platines, une machine à bruit composée de diverses pédales, de quelques bris de verre et d'un couteau à cran d'arrêt (!), Shantidas va nous faire méditer sur sa Symphonie n°2 : Variations sur Equinoxe pour platines et pédales. Difficile de faire entrer le lecteur dans ce qui reste plus une performance qu'un réel concert, le mieux étant peut-être de décrire le dispositif : deux platines surmontées de mini-projos tournent (et de ce fait, font tourner les lumières), pendant que Shantidas bidouille ses boutons, ajoute quelques morceaux de verre sur les vinyles pour produire d'aléatoires grésillements, plante sa lame et la fait résonner, lance des effet dronisants, lâche un larsen, bref construit une symphonie de bruits, jamais trop agressifs mais toujours un peu perturbants, inattendus. La progression est lente mais perceptible, les couches sonores semblent s'épaissir, et quand arrive la dernière séquence du concert, avec ces lasers qui traversent les Voûtes embrumées, l'ampleur du rituel prend tout sa dimension et la redescente est étrange une fois les machines éteintes et les lumières rallumées. Entre noise, ambient et drone, Shantidas est le Jean-Michel Jarre de l'underground.


Setlist de Shantidas :
Symphonie n°1 : Variations sur Oxygène pour platines et pédales

THROANE

Place enfin à Throane. C'est dans une formation à cinq que se présente le line-up live du projet de Dehn Sora, doubles guitares, basse et batterie, plus évidemment des samples pour les parties ambient et les habillages noirs qui font toute la saveur de Throane. Et comme le travail visuel autour de la musique a une grande importance dans la construction de l'univers de Throane, des images seront projetées en fond de scène.

Le concert débute par une intro sombre et ritualise, Dehn sussurrant dans son micro sur des nappes froides et maladives, faisant monter la pression en cognant sur un tom basse façon tribale, puis éclatent les premières notes de Sortez vos lames que nous perdions avec nos poings. Et à partir de cet instant-là, la soirée s'envole dans des cieux tourmentés : le son est absolument monstrueux. La batterie sonne épaisse et lourde, le kick est poisseux, la caisse claire ravageuse. Les guitares hurlent leurs riffs hantés, gardant le côté froid que l'on retrouve sur les albums. Mais c'est bien la basse qui donne aux morceaux une nouvelle dimension ici : elle vibre, bien plus qu'en studio, donnant une masse énorme à l'ensemble, faisant surgir de manière plus évidente la composante postcore qui constitue une part importante de l'architecture de la musique de Throane et entraînant le public dans une transe profonde. Et bien sûr, le chant de Dehn est lui aussi impérial : écorchée, travaillée avec des effets précis au rendu splendide, la voix est pleine de haine, de rage et de désespoir, elle saisit autant qu'elle impressionne.

Côté setlist, on aura le droit à trois morceaux de chaque album, une première salve pour Derrière nous la lumière et une deuxième pour Plus une main à mordre. Du fait de l'homogénéité de ce que propose Throane, il n'y a pas de titre qui ressorte plus qu'un autre, on se retrouve happé dans cet univers opaque et torturé sans même avoir ne serait-ce que l'idée de vouloir en sortir. Transporté entre les images projetées et la puissance sonore, le public (et moi avec) est complètement pris dans l'intensité rare de ce set, qui sera malheureusement bien trop court. Ce sera le seul bémol de cette soirée : quand le riff final de Plus une main à mordre s'éteint après avoir été répété durant moult mesures, on se dit qu'une demi-heure supplémentaire de ce même riff n'aurait pas été de trop. C'est dire la force d'attraction qu'exerce l'oeuvre de Throane : un seul riff vous rend absolument dépendant de la noirceur qu'il dégage. Et je pense que, quelle qu'aurait pu être la durée du concert, cela eût semblé de toute manière trop court.
 

Setlist de Throane :
01.Intro
02.Sortez vos lames que nous perdions avec nos poings
03.Aussi feroces que nous repentons
04.Un instant dans une torche
05.A trop reclamer les vers
06.Et ceux en lesquels ils croyaient...
07.Plus une main à mordre


Throane + Les Voûtes = potentiel énorme ? Oui monsieur, et bien plus que ça. Cette soirée a été tout bonnement exceptionnelle, facilement dans le top des meilleurs concerts auxquels j'ai assisté, et je pèse mes mots. Typiquement le genre de date unique, où une alchimie entre un lieu et une musique élève l'ensemble pour atteindre un point indéfinissable d'émotion qui reste gravé dans la chair. Magistral.

 

Un grand merci à Au-Delà du Silence pour cette soirée, ainsi qu'à tous ceux qui s'impliquent pour faire vivre ce type de lieux hors du commun.