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mercredi 21 mars 2018

Carpenter Brut

Carpenter Brut

Nostalmaniac

Le Max de l'ombre. 29 ans. Rédacteur en chef de Horns Up (2015-2020) / Fondateur de Heavy / Thrash Nostalmania (2013)

Avant qu'il transforme l'Ancienne Belgique en dancefloor samedi dernier au coeur de la capitale belge et pose son nom en lettres rouges à l'Olympia de Paris ce samedi pour une date historique, j'ai pu m'entretenir avec "l'homme derrière Carpenter Brut". Une rencontre dans les loges de la salle bruxelloise avec un artiste naturel, spontané et décontracté, pas avare de son temps, ni de paroles. On évoque bien sûr le nouvel album tant attendu et son histoire, mais aussi son rapport au succès, aux critiques, à ses fans et à la synthwave...



 

Nostalmaniac :  Avant tout, merci de répondre à nos questions ! « Leather Teeth » met donc fin à quatre ans d'attente après « Trilogy » mais c'est surtout le premier véritable album. Es-tu satisfait des premiers retours ?

Carpenter Brut : Ils sont pour l’instant plutôt bons dans l’ensemble. Il y a toujours des gens qui préféraient le côté un peu plus dark des EP d’avant. Je pense qu’il ne fallait pas tomber dans la surenchère du dark. Et puis ce n’était pas une période où j’avais envie de faire un truc sombre... Il y a Perturbator et Gost qui sont dans ce créneau-là et j’ai voulu faire quelque chose d’un peu plus lumineux, un peu plus rigolo et un peu plus clair.  Du coup, je me suis dit que la période glam metal c’était une période qui à l’époque était très festive et au final, si tu regardes bien, dans la musique électro ou même metal, il n'y a plus vraiment de trucs aussi fun. Tu trouveras toujours un groupe ou deux mais j’ai pas l’impression que ce soit une tendance. J’ai donc voulu faire quelque chose de glam et construire une histoire autour de ça.  Il y a des gens qui vont préférer… Je pense qu’il est plus simple mais les morceaux sont mieux faits, mieux construits. 


Tu fais attention aux commentaires sur Internet ? Tu es du genre à regarder tout ce qui se dit ?

Ouais, j’aime bien aller voir ce qui se dit. Il y a toujours des gens qui sont pertinents. Il y a toujours des gens qui sont idiots... C’est surtout quand les retours sont négatifs, j’essaye de comprendre mais ce n'est pas pour ça que je vais changer ce que je fais. J’essaye surtout de comprendre ce qui ne plaît pas aux gens.  Ce sont des trucs dont tu te doutes peu avant que l’album sorte, au final. 
 

On peut lire ci et là que tu es devenu trop "mainstream". Du coup, ça fait quoi de vendre ses fesses comme les groupes de ton adolescence forcément nuls après leur premier album ? (rires)

Mainstream, pour moi, ça ne veut rien dire ! Je ne suis pas mainstream, tu vois, sinon je ne jouerais pas dans cette salle, je jouerais peut-être dans un stade. Pour moi, je ne le suis pas... après, c’est juste que ça se vend plus. En tout cas, je n'ai jamais eu de discours underground, je fais de la musique simplement...


Tu sais, il y a cette âme de metalleux qui cherche à tout prix l'intégrité et une certaine "pureté" artistique…

Ca, je m’en fous. C’est quoi être pur et intègre, en fait ? Même quand Metallica chante avec Lady Gaga, ça reste Metallica.  Et puis, Metallica je n'ai pas l’impression qu’ils vendent leurs culs plus que ça. Ils remplissent des stades, oui...  C’est un débat que tu peux avoir quand t’as 15 ans et que tu veux te rebeller mais moi j’en ai 40. Je n’ai plus de street cred’ à prouver. 


Beaucoup de gens aimaient que Carpenter Brut, qui sortait de nulle part, soit un peu en marge et pas trop connu.  Maintenant, avec l’engouement, il y a un peu ce phénomène qui est inévitable. Un peu comme avec Ghost…

Mais Ghost ça reste toujours bien même si c’est connu. Je veux dire, après, le disque tu l’achètes, tu l’écoutes chez toi et t’as pas à te soucier de ce que les autres en disent.  Si t’aimes un groupe et qu’il défonce, c’est bien qu’il soit connu. Ca veut dire qu’il apporte une qualité musicale au plus grand nombre. Et la qualité, elle ne doit pas forcément être réservée à une élite. C’est bien aussi que les gens qui écoutent de la merde habituellement puissent avoir dans leurs oreilles des trucs de qualité.  Je ne vois pas ça d’un mauvais œil mais je comprends qu’il y a des gens qui veulent se garder des trucs pour eux.  Quelque part ils veulent garder cette espèce d’avantage qu’ils ont sur les autres de connaître des trucs obscurs. 
 

Pour revenir au nouvel album, comme tu disais, il est plus lumineux, il sonne moins sombre que ce que tu avais pu faire auparavant. Ce projet « Leather Leeth » , ça fait combien de temps que tu l'as en tête ?

En fait, je l’ai depuis peut-être un an. J’avais déjà des bribes de morceaux mais j’ai vraiment bossé dessus pendant quatre mois non-stop...


Tu es le genre d'artiste qui préfère la pression ?

Ah non, j’aime pas ça et je l’avais pour celui-là. J’avais la pression au niveau de la deadline car il y avait toute la tournée qui était déjà bookée. Il fallait que l’album soit prêt à temps. J’ai eu la pression là-dessus et je sais que le prochain truc, je ne le bosserai pas de la même façon. Ce que je peux te dire aussi c’est que le prochain album sera plus sombre dans l’histoire donc les morceaux seront à priori plus électro et moins metal. Enfin… moins rock ! De toute façon, je n'ai pas l’impression de faire du metal.  Il y a des gens qui disent que c’est du metal électro  et après t’as des fans de metal qui disent que c’est de la merde et que c’est pas du metal. Je ne sais pas si c’est de la merde mais c’est pas du metal !


Pour définir Carpenter Brut, j’avais lu dans l’interview de Noisey : « de la musique des années 80 qui n’existait pas dans les années 80 »…

Oui, c’est pas mal ça… Si c’est pas mal c’est que ça vient peut-être de moi ! (rires).


« Leather Teeth » se veut donc la bande son d'un film qui met en vendette un teenager américain dans les années 80 qui va devenir chanteur d'un groupe glam metal, Leather Patrol. Il y a un peu de toi dans cet adolescent ou du moins dans ses rêves ?

Non ! En fait, c’est ce que je dis à chaque fois. Il n'y a rien d’autobiographique. Je pense qu’on en est tous là un peu aussi... N’importe qui a déjà eu un crush sur une fille dans son bahut ou dans son lycée et la fille en avait rien à foutre de lui...

 


Oui, beaucoup de gens peuvent se reconnaître là-dedans…

Bien sûr, après j’ai juste pris ça comme histoire d’un film qui n’existe pas. Je trouvais ça rigolo comme point de départ. J’aurai pu prendre un bateau hanté qui navigue sur les mers mais je ne m’imaginais pas trop faire des sons avec cette histoire-là (sourire). 


Tu imagines quel acteur pour incarner Bret Halford ?

On me l’a déjà demandé, ça, et j’avais un peu galéré à trouver un nom. Pour le footballeur, le quarterback, je pense à Tatum …  Channing Tatum ? Un acteur américain avec une tête de teubé. Pour Bret Halford, je dirais le mec qui joue dans la saison 2 de Strangers Things, celui qui fait le rocker un peu. Peut-être lui à la limite. 

 


La chambre de Bret Halford par Førtifem


Il n’y a donc rien de toi dans le personnage de Bret Halford, qui cherche la gloire pour épater une fille, et ça contraste effectivement avec ton souci de l'anonymat. Même si tu ne te caches pas…

Disons que je ne joue pas le jeu de la promo…


Je lisais dans d’autres interviews que tu voulais que la musique passe avant ta personne…

Et du coup en faisant ça, les gens cherchent encore plus à savoir…


Comme pour le phénomène Ghost…

Oui voilà, c’est ça, mais tu vois, une fois que tu sais qui c’est derrière les mecs de Ghost, quelque part, ça enlève un peu de magie. Nous, quand on a tourné avec eux, à un moment, on a vu les mecs de Ghost en vrai qui faisaient leurs balances sans déguisements. Et c’est pas le même truc. Je trouve ça un peu dommage qu’il y a toujours des gens qui essayent de savoir. Tu vois, ce n'est pas comme si on essayait de démonter un complot politique ou ce genre de chose. Là on parle juste d’un groupe de rock donc on pourrait peut-être essayer de jouer le jeu. Garder un peu de magie…


L’aura maléfique d’un Inner Circle dans les années 2000 aurait vite été éventée…

C’est ça qui était bien avant, on est bien d’accord ? Du coup, c’est un peu relou qu’on te demande comment tu t’appelles, l’âge que tu as, où t’habites… On s’en fout…


Si tu es de Paris (rires)

Ben voilà. D’ailleurs, c’est le seul truc que j’ai mis dans ma bio : je ne suis pas de Paris…


L'album était attendu. Il y a eu du teasing mais il est sorti en même temps qu'il a été dévoilé intégralement. C’est un fonctionnement qui te convient ? Si tu étais sur un gros label, ce ne serait pas possible de faire ça…

En tant qu’auditeur, j’aime pas attendre les disques ! Quand les mecs te teasent des morceaux tous les quinze jours alors que tu sais que l’album est fini, t’as juste envie de dire « mais sors le ! On sait qu’il est fait ».  Moi je ne voulais pas teaser morceau par morceau car ils sont tous un peu différents, et du coup j’aurai teasé quoi ? « Leather Teeth » ? C’est le seul morceau qui est comme ça. Cheerleader Effect ? Les gens se seraient dits : « qu’est-ce qu’il fait ? Il fait de la pop maintenant ? ». Non, j’ai envie de faire les choses assez simplement et la musique se suffit à elle-même. Les gens, quand ils ont vu que c’était sorti, ils étaient tous contents.  « Un album en entier d’un coup, c’est super ! ». Ils ont partagé les liens. Plutôt que de se dire: « Allez, plus que quinze jours ! ». 

 


C’est une manière aussi de se promouvoir…

De toute façon, si je fais un album, il faut bien que les gens soient au courant qu’il sort. Ca reste de la promo mais tu peux la faire intelligemment plutôt que comme tout le monde. Faire ton clip, essayer de le foutre en radio, etc. Mon album, il est prêt, on le sort et on verra bien ce qui se passe !


Tu as aussi le luxe d’avoir ta propre structure : No Quarter Prod. D’ailleurs, avec le succès grandissant, c’est toujours aussi gérable ?

Maintenant on est distribué par Caroline qui est un label du groupe Universal Music. Quand tu fais un disque, le plus difficile c’est de le vendre.  Ca, c’est un truc qu’on ne peut pas gérer. Dans le label, on est deux et on a d’autres trucs à gérer que la distribution. Donc oui, on a pris un distributeur qui était intéressé de travailler avec nous et qui est assez puissant. Ils s’occupent de Ghost justement mais aussi de Nine Inch Nails et Marilyn Manson. Ils ont leurs propres réseaux et c’est plus facile.  Les gens peuvent se procurer le disque plus facilement. Il n’y a pas de rupture de stock et tu ne retrouves pas les disques sur Discogs à 500 euros. J’espère que personne ne les achète d’ailleurs...  Mais bref, oui, on reste maîtres de notre destin. Ca n’empêche pas d’avoir des gens qui nous conseillent et ça se passe plutôt bien. De toute façon, on ne force personne à bosser avec nous. Si les gens ne sont pas contents, ils s’en vont. 


C’est gagnant-gagnant…

Oui… Si on continue à respecter ma façon de faire jusque-là c’est plutôt gagnant tu vois.  


Tu serais d’accord de dire que Carpenter Brut est un peu un enfant de Bandcamp ?

Ah oui, complètement ! Carpenter Brut c’est un fils d’Internet. C’est-à-dire que j’ai utilisé ce réseau-là avant d’utiliser le réseau classique : tape-trading, labels, etc.  Donc oui, on est des enfants de Bandcamp... Pour le distributeur, Bandcamp, ça ne l’intéresse pas trop. Les ventes qu’on fait sur Bandcamp, c’est des ventes qu’ils ne font pas eux... Mais on leur a dit « si tu signes avec nous, on reste sur Bandcamp ! ». Il y a des gens qui sont attachés à Bandcamp et on a commencé là-dessus. C’est une plateforme qui m’a vachement aidé et qui m’a permis de développer des trucs, financer le clip de Turbo Killer  et plus simplement de me payer moi car je suis investi à 100% sur Carpenter Brut donc il faut bien que je mange quand même. Il faut reconnaître aussi qu’on est à une période où il n'y a plus beaucoup de gens qui achètent des disques.  Il y en a toujours mais pas comme il y a vingt ans où les artistes vivaient vraiment sur la vente des disques et des concerts. Nous, maintenant, on vit plus des concerts. 


Du coup, c’est marrant ce coté nostalgie 80’s et de l’autre accepter le jeu de la modernité…

Bah oui, t’as pas mal de scènes… et comme je vois ton t-shirt (ndr : Ulver – Bergtatt). Tu parlais de l’Inner Circle et il y a pas mal de mecs qui veulent garder cette espèce de coté un peu de la scène Black Metal originel. Peut-être qu’il y a des mecs qui font encore des K7 et qui se les envoient parce qu’il ne veulent pas utiliser les réseaux sociaux. C’est leur choix mais je sais que c’est beaucoup plus simple comme ça. Tu mets un post sur Twitter, les gens retweetent dans tous les sens…


Tu restes fidèle à Førtifem... C'est un peu le quatrième membre de Carpenter Brut, non ?

Ouais ! C’est notre Derek Riggs (célèbre illustrateur des pochettes et affiches d’Iron Maiden). Ca a commencé par notre logo et depuis ce jour-là c'est eux qui font tous les visuels des t-shirts, pulls, affiches, etc. On s’entend bien, ils sont marrants. Ils sont bons surtout ! Voilà, je n'ai pas envie de changer…


Comment vous échangez sur l’univers de Carpenter Brut ?

J’ai toujours une idée générale et après, on s’envoie des photos. Eux font des petits montages avant de commencer à dessiner. Je vois à quoi ça ressemble et je donne toujours des lignes directrices mais je les laisse faire ce qu’ils veulent.  Les artistes ne sont bons que quand tu les laisses faire ce qu’ils savent faire. Sinon, t’as qu’à apprendre à dessiner (sourire).

 


Førtifem


Ça ne t’arrive pas de voir un film ou une série et de te dire « Ah j’ai vu ça, j’aimerais bien intégrer ça d’une manière ou d’une autre » ?

Ouais, c’est plutôt souvent lié à ma mémoire car je ne regarde plus vraiment… Enfin si je regarde les mêmes séries que tout le monde maintenant sur Netflix. Je joue en fait sur le côté années 80, de ce que je m’en souviens...


Tu n’es pas si cinéphile qu’on pourrait le croire…

J’ai jamais dit que je l’étais !


La nostalgie c’est aussi une odeur, une sensation, un souvenir, une impression, etc.  C’est toujours mieux quand c’est des souvenirs… 

Ben, t’effaces un peu les parties qui t’emmerdent dans les souvenirs. Des fois, je me suis mis à revoir des vieux films de quand j’étais petit et à la fin je me disais « ouais, c’est pas ouf ».  Du coup, voilà, je m’arrête… Tu sais, quand j’étais petit, pour regarder des films d’horreur, c’était toute une galère. Il fallait aller au videostore. Tu ne téléchargeais pas sur Internet… Il fallait fouiner puis tu payais. Payer quoi ! Je ne sais pas dans ceux qui nous lisent si c’est un concept qu’ils connaissent encore mais à l’époque il fallait payer pour ton abonnement au videoclub, chercher ta vidéo, etc. Quelque part c’était cool, maintenant c’est sûr que c’est mieux d’avoir accès à la culture même si je ne pense pas qu’elle doit être gratuite. L’accès à la culture par Internet c’est vachement plus pratique mais après, elle ne doit pas être gratuite car y a forcément des gens qui ont bossé dessus…


Et puis il y a le fait d'avoir accès à tout en quelques clics… On peut mettre ça en rapport avec la musique. J’ai connu les médiathèques. J’avais de l’argent pour louer un ou deux CD, je les écoutais à fond...

Voilà, là maintenant les gens... ça défile. Je crois que beaucoup de gens n'en ont plus rien à foutre de la culture à partir du moment où ils n'ont plus la sensation que c’est quelque chose qui est à part. Tu peux avoir une recette de cuisine et le dernier film de Fellini de la même manière. Pour eux, c’est pareil. Un plan sur Google maps ou le dernier album de Beyoncé, tu l’as de la même manière maintenant. Ca dévalorise un peu le travail des gens derrière ça. Et puis avec les réseaux sociaux, c’est facile de cracher sa haine. « J’ai écouté deux minutes, ça m’a cassé les couilles ». Mec, un album c’est pas ça normalement. C’est comme un film, si après deux minutes tu dis que c’est de la merde… Beaucoup de gens ne sont plus capables d’aller jusqu’au bout. Pour ça aussi que je fais des albums courts ! Il a au moins une chance que les 4-5 premiers morceaux soient écoutés en entier. Ça prend vingt minutes, c’est pas mal…


J’étais donc naïf en voyant un hommage caché aux grands albums courts des 80’s comme le Reign in Blood de Slayer qui ne dure que 28 minutes…

Il y a un peu de ça (sourire) mais ce n'est pas la même intention. Puis, je voulais rester sur un format huit titres. 


Tu penses donc que c’est difficile de garder l’attention des gens ?

Ouais, j’en suis quasi sûr car je fais aussi partie de ces gens là. On a perdu l’habitude de s’asseoir, de prendre un CD ou un vinyle, de le mettre dans sa chaîne. Le dernier machin, tu l’écoutes sur ton téléphone. Avant on s’achetait des systèmes son hyper chers, on voulait se mettre bien. Maintenant les morceaux tu les écoutes sur un téléphone. Après… on schématise un peu, il y a toujours des gens qui ont un bon système son, qui achètent des disques, qui prennent le temps d’écouter mais la majorité des gens…  Avant, ils écoutaient la radio en attendant d’avoir le morceau qu’ils kiffaient. Maintenant, ils écoutent la radio de Spotify ou des radios Youtube. Y a des gens qui gueulent pour payer dix euros par mois pour avoir accès à toute la musique. Quelque part je trouve ça scandaleux… Après, ok, il y a des gens qui ont besoin de ces dix balles pour bouffer.  Évidemment ! Mais tu vois, y'a un moment où il faut arrêter les conneries. Dix balles c’est le prix d’un paquet de clopes. Tu vas consommer 30 ou 20 paquets de clope dans le mois, tu ne peux pas en consommer un de moins et te payer un abonnement à Spotify ? Il y a des trucs comme ça qui m’énervent un peu mais après, les gens font ce qu’ils veulent… J’ai du bol au final de pouvoir gagner de l’argent avec ma musique dans une période compliquée mais… j’ai pas connu "avant".  Des gens comme MadonnaMetallica ou même un Anthrax ça doit leur faire un petit coup au cul quand même...


En parlant des travers, j’ai déjà vu plusieurs fois Carpenter Brut et j’ai l’impression que les gens sont assez disciplinés. Il n’y a pas tellement de gens qui filment devant la scène…

Il y en a toujours un petit peu. Les gens veulent garder un souvenir. Ca ne me dérange pas mais je préférerais qu’ils passent leur temps à s’amuser plutôt qu’à s’amuser en revoyant chez eux après. Y en a toujours un peu mais c’est vrai que c’est pas…  enfin, ça doit être moins que Beyoncé (sourire). 


J'ai vu que Teloch (Mayhem, Myrkur, Gorgoroth) a dévoilé un projet synthwave (Häxan Summer) à travers un logo réalisé par Metastazis. En tant que mec qui a grandi avec le Black Metal, c'est fascinant à voir. Comment tu vois l'évolution de ce mouvement au fond et ton influence ?

Alors là… je n’ai aucune idée de l’influence que je peux avoir.  Je peux pas forcément me dire que c’est grâce ou à cause de moi… On est quand même plusieurs à en faire. En fait, je m’en fous. J’ai peut-être l’impression qu’il aura un train de retard si tu veux… L’impression qu’il arrive après la guerre mais en même temps le point de vue que j’ai moi sur la synthwave c’est peut-être pas la réalité de la synthwave. Je ne sais pas où elle en est, cette scène.  Après, je trouve ça cool… Il y en a toujours qui vont dire « Ah ben tiens comme par hasard les mecs se mettent à faire de la synthwave  maintenant ».  Je suis très confiant sur ce que je fais et j’ai rien à craindre de personne. Je me dis qu’il y a plein d’artistes… Est-ce que Metallica a commencé à flipper à chaque fois que Megadeth sortait un album ?


Non mais ils ont fait de l’ombre à Diamond Head…

Oui mais ça c’est ton point de vue. Du coup, c’est là où c’est compliqué, car c’est qu’une question de point de vue. Moi j’ai hâte d’écouter ce qu’il fait, ça se trouve ça va déglinguer...


Ce n'était pas forcément péjoratif mais c’est quand même étonnant de voir apparaître ça…

Je sais… Des fois j’ai l’impression que la synthwave arrive à débrider un peu les métalleux…


C’est mon cas…

Après, qu’on soit critiqués par les métalleux, c’est quelque chose que je n’arrive pas à comprendre car on n’est pas là pour amener un nouveau genre au metal. Si j’ai fait cette musique-là, c’est parce que j’étais gavé du Metal. Il n’y avait plus rien qui m’intéressait. Je pense qu’il y a une désinformation sur la synthwave par rapport à la scène metal. Après, c’est vrai que t’as moi et Perturbator qui jouent au Hellfest mais c’est pas grave les mecs, détendez-vous ! C’est que de la musique ! Au Motocultor on a forcé personne à venir nous voir. On a pas foutu en l’air le festival parce que j’avais des synthés.  Il y a des groupes comme Epica ou Nightwish qui ont ramené des synthés bien avant nous. C’est juste que musicalement c’est de l’électro. Moi au tout départ je me disais que ça pourrait faire le lien entre les métalleux qui vont découvrir des sons électro, qui vont peut-être kiffer, et après qui vont dévier sur une scène un peu plus dark électro et toute la scène indus allemande. Il y a peut-être un intérêt là-dedans.

 

Parlons des invités, comment s’est faite la collaboration avec Kristoffer Rygg d'Ulver ? 

C’est toujours moi qui contacte les gens. D’ailleurs j’ai très peu de gens qui me contactent pour chanter sur mes morceaux... C’est pas mal, ça m’évite de dire non ! Ulver c’est … (il regarde mon t-shirt) si je dis pas de connerie le t-shirt que t’as c’est « Bergtatt ». J’ai le coffret de Century Media !  Il doit coûter un peu de thunes maintenant je pense… Je connais donc Ulver depuis cette période là, après je connais plus « Perdition City ». J’ai un peu lâché quand c’était un peu trop les messes, tout ces trucs-là.. J’étais un peu perdu… En fait on a sorti nos premiers vinyles chez Neuropa Records et ils travaillent aussi avec Ulver. Du coup ils se connaissaient et j’ai dit au gars du label de lui dire que j’étais super fan de ce qu’il fait et que ça me ferait bien délirer de faire un morceau avec lui.  C’était il y a deux ans je crois… Garm (Kristoffer Rygg) lui avait envoyé un message en disait qu’il aimait bien. Par la suite, je l’ai croisé au Roadburn au petit déj', on a discuté et puis il s’est trouvé que pour le morceau Cheerleader Effect, Yann Ligner de Klone avait déjà chanté dessus et il avait même écrit les paroles. C’était super mais... c’est pas exactement ce que je cherchais.  Du coup on l’a envoyé à Garm, on a gardé les paroles et on a fait plusieurs essais et c’est ce que je voulais cette fois. Je suis hyper content d’avoir ce mec-là, tu sais. Y a pas grand monde avec qui j’aimerais avoir des feat mais lui c’était dans ma top list. Pour Grave Pleasures, je connais Mat (McNerney) depuis l'époque de Beastmilk. Je ne sais même plus qui a contacté qui. Normalement, je crois que c’est quand même moi qui ai fait le premier pas…


Sa voix s'accorde totalement avec ce que tu fais… C’est hyper catchy !

Il est toujours catchy dans ses refrains. Il tape toujours juste… Il est hyper fort ! On avait fait des essais sur des morceaux et à la fin je lui ai envoyé Beware the Beast et ça a fonctionné. D'ailleurs, j’aime beaucoup le dernier Grave Pleasures !


Et le dernier Ulver aussi, j’imagine…

Ah ben oui ! Je ne t’en parle même pas… Par contre tu me parlais du  projet à venir de Teloch, j’ai quand même osé imaginer que le fait qu’il fasse un album comme « The Assassination of Julius Caesar » c’était peut-être parce qu’il y a deux ans… (sourire) Je me suis pris à rêver cinq minutes… Après c’était marrant car il me disait « le morceau Monday Hunt, tu ne l’as pas fait en pensant à Arcturus ? » donc on s’imagine tous des trucs. Puis non, moi c’était les Doobie Brothers donc rien à voir. C’est rigolo…


Et du coup une collaboration dans l’autre sens ?

Les mecs sont forts quand même ! Je ne sais pas s’ils ont vraiment besoin de moi, mais s’ils me demandent, évidemment, je dirai oui. Mais je suis vraiment pas sûr qu’ils aient besoin de moi, ils savent tout faire…


Tu disais dans une interview en 2016 que "ce n'est pas facile de trouver des concerts car le synthwave reste très confidentiel et que peu de promoteurs sont intéressés". Les choses changent...

Ben voilà… c’était vrai… et ça ne l’est plus ! 


C’était qu’en 2016…

En quelques années il peut se passer plein de trucs mais oui. Avoir fait sold-out à la Cigale, l’Olympia… Il y a eu aussi l’effet Strangers Things. Il y a eu plein de choses en fait. T’étais là depuis 2012 et les mecs, les orgas, ils t’ignorent… A l’époque je pouvais pas trop leur en vouloir parce que  c’était difficile de nous placer. C’est pas vraiment de l’électro, c’est pas du metal. Donc t’avais des orgas qui nous disaient « Je veux bien faire une soirée mais ça s’adresse à qui ? Je remplis ma salle avec combien de personnes ? ». Ils étaient frileux. Petit à petit le mouvement a grossi et maintenant c’est beaucoup moins dur.  Tu vois, on refait l’Ancienne Belgique et on devait être 300 ou 400 l’année dernière. Là on sera plus de 1000… C’est là que tu vois l’évolution et ce n'est pas tant moi qui suis devenu plus gros, c’est le style qui est plus connu. 


J’imagine que jouer dans des salles de plus en plus grandes, ça t’amène à revoir la scénographie…

Oui, forcément. C’est marrant que tu dises ça car les deux derniers trucs que les gens achètent en musique c’est les t-shirts et les places de concert donc là-dessus il ne faut pas les niquer. On a un nouveau dispositif sur scène. On a plus de projos qu’avant. On essaie toujours d’upgrader le niveau. Les gens gueulent à chaque fois car on ne joue pas longtemps mais moi je me dis que jouer 1h/1h10 ça me suffit largement parce que je pense que si je venais voir ce concert à la fin je serais crevé ! Donc je n'ai pas envie de jouer 1h30. Au bout d’un moment tu perds l’intensité. Je préfère que les gens soient frustrés car c’est trop court qu’ils se fassent chier avec la longueur du concert qu’ils voulaient. 


Samedi prochain, direction l'Olympia de Paris ! Pas mal pour un gars qui bidouillait et regardait des tutos sur Youtube..…

Je suis le premier groupe de synthwave à y jouer. Enfin, j’ai regardé pour ne pas passer pour un blaireau et j’ai vu que Kavinsky y a joué mais est-ce que lui faisait déjà de la synthwave à l’époque ? J’en sais rien mais je suis peut-être le premier à faire l’Olympia… Ca ne va pas changer ma vie non plus… Enfin si, ça déclenche d’autres trucs derrière comme notre participation à Coachella (ndr : un important festival américain en Californie). Il y aura les grosses lettres rouges, donc ça tombe bien... C’est plus la petite friandise que tu t’accordes de temps en temps quand tu bosses… L’Olympia c’est un peu la récompense. Le concert sera le même que ce soir. On va juste avoir à priori un mur un peu plus grand car la scène est assez large. Notre projo c’est un timbre-poste dans ce genre de configuration. Et là, déjà, la salle est grande, ça va peut-être paraître un peu petit. On a les lights qui vont faire le reste... Le show est un peu plus rock, il est moins électro, moins dark qu’avant. C’est un peu différent… On essaye quand même d’offrir un chouette spectacle. Quand moi je vais voir Nine Inch Nails, je veux en prendre plein la gueule !

 


Qu’écoutes-tu en ce moment ?

Pas grand-chose en fait… (il regarde son téléphone) J’écoute Toto, toujours. Là mon album pour dormir c’est « Somewhere in Time » d’Iron Maiden.  Alors, j’ai quoi de récent ? Ah, le dernier Hangman’s Chair. Herbaliser, un groupe de hip hop anglais. Hip hop un peu funk, musique de film. (je vois « Testimony of the Ancients de Pestilence, le dernier Harm’s Way). Audrey Horne, TribulationCandlemass


Tiens, Tribulation qui a une évolution musicale intéressante aussi en se libérant de ses racines Metal extrême. 

Alors, écoute, j’ai pas beaucoup de références mais ça m’a fait penser à du Limbonic Art. Enfin, surtout un morceau avec une petite mélodie. Et puis aussi aussi à Sentenced, « Amok ».  Ça, ce sont mes références de vieux… Et puis j’écoute aussi Jamiroquai et Ulver. Voilà… Je ne suis pas un découvreur, hein.  En même temps, j’ai un métier un peu frustrant, je ne peux pas faire de la musique et en écouter en même temps….


On imagine qu'il y aura des clips pour illustrer l'album, tu peux m'en dire plus ? 

Et bien figure toi que peut-être pas ! En fait pendant le concert on diffuse des vidéos. Silver Strain a fait six vidéos pour les six morceaux qu’on joue et il reste donc deux morceaux (End Titles et Sunday Lunch). Du coup on met tout l’album avec ses vidéos.  Ce ne sera pas vraiment un clip…  Je sais que de toute façon je suis attendu au tournant depuis Turbo Killer. Ce n'est pas possible de refaire un clip pareil donc il faut que je trouve un autre délire pour que les gens puissent écouter les morceaux sur Youtube et que les clips racontent l’histoire de l’album par la même occasion.  Ca peut les éclairer sur ce que je raconte.  J’avais pensé faire un clip mais ça coûte… Turbo Killer est encore dans la tête des gens, tu vois, et il y a des gens qui sont déçus car il n’y a pas de Turbo Killer  2 sur l’album. Il faut attendre un peu que ça redescende...

 

 

Tu me disais au début de l’interview regarder ce que tout le monde regarde sur Netflix, mais tu regardes quoi ?

J’ai bien aimé Mindhunter qui implique David Fincher, le réalisateur de Seven. J’adore aussi House of Cards qui est aussi du même producteur. The Handmaid’s Tale, une des meilleures séries que j’ai vu depuis très longtemps. Je regardais Altered Carbon et j’ai bien aimé… Des fois c’était un peu trop confus, je comprenais pas tout.  Il me reste juste la fin du dernier à regarder. J’aimais bien l’ambiance, évidemment très Blade Runner.  Qu’est-ce que je regarde d’autre ? Trailer Park Boys… Voilà en gros...


En tournée, tu as le temps de visiter ?

On aurait le temps mais des fois j’ai des interviews, des fois on a des problèmes techniques qu’il faut régler et puis... je suis pas en vacances. J’empêche personne de se balader si les mecs ont le temps. J’essaye aussi de pas trop sortir car tu vas quelque part, y a un mec qui t’éternues à la gueule.  J’ai encore quinze jours à tenir et après on repart aux États-Unis.  Par contre, je trouve que Bruxelles, c’est une ville vachement belle.  Les bières sont bonnes, déjà.


Est-ce que c’est important pour toi de garder une audience si variée ?

Je m’en fiche mais j’en suis super content. C’est pas un but en soi, je fais la musique qui me plaît et comme je pense être aussi un métalleux qui écoute aussi du hip hop et plein d’autres trucs je me dis que je dois pas être le seul au monde, du coup tu retrouves des gens qui écoutent plein d’autres trucs aussi. Je sais qu’il y a des gens qui chient sur Carpenter Brut en disant que c’est du Bontempi ou du Patrick Sébastien. Souvent des Black Metalleux qui disent ça... 


Et qui écoutent en douce…

Qui écoutent quand même pour savoir que c’est de la merde. Ou alors « c’était mieux avant ». Enfin, bref. T’aimes pas, t’es pas obligé de chier sur tout ce que tu n'aimes pas sinon tu vas passer tes journées à ça... Du coup, pour répondre à ta question, ça ne m’intéresse pas vraiment - entre guillemets - de savoir qui m’écoute mais je suis très content de me dire qu’il y a plein de gens différents et puis c’est surtout cool de voir un métalleux avec un geek.  Qu’ils se rendent compte qu’ils ont des points communs. Rassembler des gens… J’ai réussi à faire ce que les politiciens n’arrivent pas à faire. Après ce qui me pose problème c’est d’avoir des fachos qui récupèrent mes musiques pour leurs trucs.  Y a une petite partie de mon public qui baigne dans ce délire populo/fascisant… Je suis partagé car en même temps je suis fils d’immigrés, ma femme aussi. On est tous fils d’immigrés quelque part. Que ces mecs là utilisent ma musique en pensant que c’est une musique guerrière pour buter des étrangers, ça me pose problème. Finalement, je m’intéresse à ce que j'ai dans mon public.  Après, on sait jamais, ça peut les ramener à la raison… J’avais eu un morceau qui a été utilisé par des fachos contre des migrants. J’avais coupé l’audio sur la vidéo et ça avait fait un shitstorm sur Twitter, plein de mecs étaient venus m’agresser, m'insulter.  Y a un moment, et là c’est typique des discours d’extrême, où ils ont le droit de faire ce qu’ils veulent mais moi j’avais pas le droit de leur dire non.  C’est la liberté à sens unique. Et ça c’est un truc qui me fait péter un câble…  Tu utilises ma musique sans me le demander sur une vidéo qui ne reflète pas mes idées et en plus tu te permets de m’insulter ? Bref… Je sais que dans la scène Black Metal y a beaucoup de fafs et ce n'est pas logique. Le Satanisme c’est la haine de tous. Dans le Black Metal, c’est la race humaine qui doit être annihilée…


Une haine égalitariste si on veut… 

Oui, voilà, on ne fait pas de différence : hommes, femmes, jeunes, vieux, jaune, noir, etc. C’est pour ça que c’est pas logique.  Mais bon, on ne peut pas demander à tout le monde d’être éclairé et intelligent. Ce serait trop simple…


Je te laisse le mot de la fin pour les lecteurs de Horns Up...

Allez vous faire enculer (rires). Non mais plus sérieusement, qu’est ce que je peux leur dire ? Alors moi, ce genre de trucs… Ben merci déjà à toi d’avoir posé des questions qui ne sont pas « Alors pourquoi Carpenter Brut ? » (sourire)


Est-ce que ça fait référence à John Carpenter ? (rires)

Alors que c’est le Champagne… En plus c’est vrai… La blague tombait bien avec John Carpenter et tout. Ce que je pourrais dire pour conclure c'est : Détendez-vous ce n’est que de la musique !

 

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Merci à Stéphanie Martin