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Album

09 décembre 2014 - U-Zine

Decrepit Birth

Diminishing Between Worlds

LabelUnique Leader Records
styleBrutal Death Technique
formatAlbum
paysUSA
sortiejanvier 2008
La note de
U-Zine
7.5/10


U-Zine

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Vous connaissez l’histoire de l’otarie de Californie (si si c’est véridique, ça existe vraiment) qui, ayant beaucoup d’appétit, voulait se faire aussi grosse qu’un alligator floridien ? Moi oui, je la connais, et elle me fait drôlement penser à une fable de La Fontaine…

« Decrepit Birth vit un héritage death metal floridien qui lui sembla de belle taille.
Lui, qui était gros en tout d’un CD, envieux, s'étend, s'enfle et se travaille,
Pour égaler les géants en grosseur,
Disant : "Regardez bien, metalleux,
Est-ce assez avec une chanson ? Dites-moi : n'y suis-je point encore ?
- Que Nenni
- M'y voici donc avec deux titres ?
- Point du tout.

- M'y voilà après 11 morceaux ?
- Stop !! Vous avez dépassé, c’est trop."
La décrépite s'enfla si bien qu'elle creva. »

Cette fable illustre le travail énorme qu’a entrepris Decrepit Birth pour nous fournir Diminishing Between Worlds. Nous allons, après cette entrée en matière quelque peu ironique, tenter de voir ce qui se cache vraiment dans ce nouvel album tant salué par les critiques.

Après un premier opus … And Time Begins faisant directement son entrée dans les références en terme de brutalité, Decrepit Birth a opéré quelques changements dans son line-up : exit Derek Boyer (pas l’ancien monsieur muscle fidjien, mais le bassiste de Suffocation, ex-Dying Fetus, Vital Remains, etc.), exit Tim Yeung et son jeu de batterie rapide certes, mais stéréotypé. Bienvenue aux mecs d’Odious Mortem (brutal death) : KC Howard pour la batterie studio et live, Dan Eggers (guitare) et Joel Horner (basse) en live.

L’heure est venue de se consacrer au nouvel album. Après un temps assez long (5 ans depuis le premier opus du groupe), voici le CD dans mes mains. Premier constat : l’artwork est l’œuvre de la même personne, Dan Seagrave.
Autant j’adorai la complexité du dessin de … And Time Begins, ses points de fuite, son mélange de couleurs, ses courbes et ses pointes ainsi que les monstres dans la tornade, autant là, on peut être un peu déçu : le nouvel artwork est quasiment monochrome et même si on retrouve quelques formes du premier dessin, on se sent oppressé par l’image : elle est trop chargée. C’est comme si on voulait instinctivement enlever du zoom, mais on ne peut pas.

J’insère la galette dans le baladeur CD et je mets le casque. C’est parti !
Premier constat : la production a quelque peu changé entre le premier CD du groupe et celui-ci. Il semble que les instruments à cordes soient bien mis en avant par rapport au reste. Le premier cri de Bill Robinson en est la preuve, ainsi que toute la suite. Aussi, il semble que cette production ait perdu en agressivité, en caractère au profit d’un son plus épuré. On dirait qu’Yngwie Malmsteen est passé au studio et a mis ses réglages à la guitare… (attention, je n'ai pas dit que Malmsteen ne proposait pas une musique de caractère).

Musicalement, cet album est un complexe mélange de technique (autant en composition qu’en exécution. Correction, plus complexe encore en composition au niveau guitare), de mélodies lyriques et de la brutalité intacte du premier album (c’est même impressionnant ces changements d’ambiance dans l’album. On passe du paisible voyage à un vol accéléré tourmenté tel un coup de feu). Il est clair que même après plusieurs écoutes, on ne parvient pas à mémoriser les morceaux exactement. A chaque nouvelle écoute, on trouve quelque chose de nouveau, ce qui est un bon point pour l’album.

Aussi, il faut souligner l’énorme travail de chaque musicien. Tout d’abord Matt Sotelo, le principal compositeur du groupe, qui s’est occupé des guitares solo, rythmiques, de la basse, du clavier et des backing vocals. Hum… excusez du peu ! Il s’est attaché à restituer les canons de son premier album, tout en allant puiser dans les influences de groupes qui lui sont chers (Death, Cynic, Arsis, Dissection, Morbid Angel, Necrophagist et tant d’autres). Concernant ces influences, on peut dire qu’il a effectué un travail remarquable, nous y reviendront plus tard dans la chronique.
Ensuite, Bill Robinson au chant a bien progressé depuis …And Time Begins. Sa voix s’accompagne maintenant d’intonations pour accentuer les impulsions de la guitare et de changements de rythmes bienvenus.

Enfin, le dernier venu, KC Howard a tout simplement été sublime dans ses parties de batterie. Il a plus que collé aux compos de Sotelo, il les a aspirées pour en ressortir la quintessence ! Succéder à Kevin Talley (Daath, ex Misery Index, Dying Fetus, Chimaira, Hate Eternal, Cattle Decapitation, etc.) et à Tim Yeung (Divine Heresy, ex-Vital Remains, Hate Eternal, etc.) n’était pas une mince affaire. Et bien KC Howard les a dépassé, et de loin ! Pour preuve la chanson « …And Time Begins » qui figure dans Diminishing Between Worlds. Elle n'est rien d'autre que la version 2008 (écourtée du passage final que je trouvais inutile) du morceau de 9 minutes de leur premier album du même nom.
Quand on écoute ces 2 versions, on se rend compte à quel point ce nouveau batteur au jeu génial a apporté beaucoup. Il est fin calculateur (pas un battement de trop ou manquant, des changements de rythmes qui repoussent les limites de la cogitation et forcent le respect du point de vue physique), métronome et doseur dans son débit, docteur es-mélodies aux cymbales et aux toms, artilleur lourd à la double grosse caisse. Franchement Decrepit Birth a tout gagné en l’enrolant. Il faudrait le surveiller de près à l’occasion de ses prestations live, car il va y avoir du lourd !

Les influences ?

Venons-y. Tout le monde parle de Sotelo en digne successeur de Chuck Schuldiner (R.I.P. - Death, Control Denied, Voodoo Cult et presque Probot). Certes, c’est vrai, avec de nombreuses compositions faisant référence au maître (premiers solos (1:24) de « The Living Doorway », « Reflection of Emotions » (0:36), première séquence (0:23) de « Diminishing Between Worlds », solo (1:34) de « A Gathering of Imaginations », quasiment tout le morceau « Essence of Creation » au niveau des riffs). Jamais personne n’a autant approché Schuldiner dans la compo, et même aussi dans le jeu, avec les nombreuses harmoniques épiques que l’album renferme. Mais ce n’est pas tout !
Sur la 5ème chanson du CD, c’est tellement flagrant : il s'agit une ballade digne des productions de Cynic. C’est assez drôle au passage de noter les similitudes sonores du titre de Decrepit Birth « The Enigmatic Form » et d’un certain titre de Cynic « Uroboric Forms » (musicalement, elles n'ont rien en commun). Pour ma part, ce morceau est mon préféré de l’album, car cet instrumental synthétise parfaitement la symbiose entre un voyage aquatique paisible, les changements de rythmes soudain, le côté épique imprimé par les guitares et le clavier d'ambiance (car il est bien présent sur ce morceau). Il y a deux moments forts dans « The Enigmatic Form » : ça se passe à 1 :22 avec un passage que je trouve très jouissif magnifiquement joué par un guitariste guest (Ty Oliver) et ensuite à 2 :22 où le synthé prend toute sa dimension, en précédent un passage de black metal épique (qui me fait beaucoup penser à Dissection). Cette chanson est une vraie réussite !

Le neuvième titre « Await the Unending » renferme un solo en duo de guitares comme en faisait Mercyful Fate. Ceci créé un dialogue entre les guitares, une technique revenue au goût du jour il y a peu (on pense par exemple à The Blackening de Machine Head). On apprécie l’effort !

Globalement, cet album est construit en morceaux présentant diverses influences jusqu’au 6ème morceau, puis à partir du 7ème, on sent plus l’empreinte de Decrepit Birth.
Maintenant arrive un point crucial de la chronique : celui où on doit faire le bilan. Vous venez de lire de nombreux arguments positifs à propos de cet album. Mais il serait dommage de s’arrêter là comme le font beaucoup d’autres : Diminishing Between Worlds a d’énormes défauts (enfin, toujours une question de points de vue) que je vais vous expliquer :

Premièrement, c’est flagrant et je l’ai un peu dis précédemment : la production a beaucoup changé. Où est passé le fort caractère du premier album ? Certains apprécieront ce changement, moi non. Le nouvel album manque de couilles ! Ensuite, la voix impersonnelle de Bill Robinson me pose des problèmes. Elle manque de corps et d’âme, elle est sans profondeur (un peu comme l’artwork de l’album tiens…). Il me tarde de constater ce qu’il a dans le ventre en concert prochainement. Puis, et là ça devient plus dommageable. Pourquoi avoir pris la peine de réenregistrer en version courte le titre « …And Time Begins », présent en cloture du premier album ? A l’écouter, à part constater les progrès en batterie, ce morceau n’apporte rien de plus à Diminishing Between Worlds.
Aussi, ce CD, outre son contenu technique énorme, ses variations d’émotion (on passe allègrement de l’agression physique à une promenade tranquille) et ses compositions (structures et paroles), n’offre pas de réelle originalité. « On a déjà presque tout entendu avant » dirons certains (ce n’est pas entièrement vrai. Dans cet album, certaines limites ont été repoussées je trouve). De plus, on peut déplorer l’absence de groove (à part un passage dans « Dimensions Intertwine »), ce qui est dommageable. Des groupes comme Atheist savaient très bien le faire, pourquoi pas eux ?
Enfin, et c’est ça le plus important : plus j’écoute l’album, plus il me laisse indifférent (à part le 5ème morceau). Il se créé un blocage net, une fissure due à la surproposition technique, et à l’absence de riffs de guitare qui s’imprègnent en notre esprit.

En définitive, cet album d’une très grande qualité divise les hommes : les uns trouvent jouissif cet surenchère technique et mélodique tandis que les autres en ont trop. Il parvient même à diviser les gens en leur fort intérieur car il se créé une dualité entre l’envie du toujours plus, et un désir de l’originalité qui s'éloigne plus le groupe tente de nous en mettre plein la vue. Un album mémorable donc (dans le bon sens ou le mauvais), pour quiconque l’aura écouté. Il est le fruit d’un dur labeur des formidables musiciens de Decrepit Birth, il faut le souligner.
Si vous êtes arrivez jusque là, il se peut que vous vous disiez que moi aussi j'ai fait mon Diminishing Between Worlds de chronique...

Merci d'avoir tout lu, n'hésitez pas à écouter le CD pour vous faire votre propre opinion.

1. The living doorway
2. Reflection of emotions
3. Diminishing between worlds
4. Dimensions intertwine
5. The enigmatic form
6. A gathering of imaginations
7. Through alchemy bound eternal
8. ...And time begins
9. Await the unending
10. Essence of creation
11. The morpheus oracle (outro)

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