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Málmhaus (Metalhead)

mercredi 6 juillet 2016
Dolorès

Non.

Version revisitée d'une critique écrite pour le N°6 du magazine Noire, décembre 2014. Avec de vrais morceaux de spoilers dedans.
Film islandais sorti en 2013, réalisé par Ragnar Bragason.

 

Années 90, Islande, et Hera qui grandit dans la ferme familiale. A 12 ans, elle perd son grand frère Baldur dans un accident qui l'affectera toute sa vie. Dans la chambre de celui qu'elle admire, posters de Led Zeppelin & Iron Maiden se fondent dans la déco, composée d'ossements animaux et de sa guitare, gisant là sans propriétaire. Hera choisit, dans la colère et le deuil, de prendre la relève, et se met à arborer fièrement les artefacts de son frère, cuir et t-shirts de groupes, tout en lançant son propre projet musical. Son comportement change radicalement et, si ce n'est pas vraiment une manière rationnelle de surmonter son chagrin, c'est l'échappatoire qu'elle choisit dans son adolescence.

 


Avant toute chose, il faut bien comprendre que ce n'est pas un film sur le Metal (qui reste un paramètre parmi d'autres), mais bien sur le thème du deuil. Cela change tout l'angle d'approche de celui-ci.
L'affiche, la bande-annonce, étaient assez flous pour ne pas savoir à quoi s'attendre. Si de nombreuses personnes ont été déçues par Málmhaus (Metalhead en islandais), je comprends tout à fait pourquoi. Le film est décousu, le thème du Metal reste assez superficiel pour un spectateur connaisseur, et il est difficile de s'identifier à un personnage principal aussi singulier que détestable. Hera est changeante, insupportable, insensée, irrespectueuse, mais c'est ce qui la rend humaine et ce qui fait qu'on peut finalement s'attacher à elle. Malgré tout, je suppose que cette identification est dix fois plus facile lorsque le spectateur rassemble deux paramètres spécifiques : être une demoiselle, et amatrice de Black Metal. Dans tous les cas, on n'a pour une fois pas juste un héros fan de musique extrême, qui détient toutes les qualités possibles, l'ado cool, profitant de son existence à travers une vie de rock'n'roll, d'excès et de fun, qui donne une image déjà usée du « metalhead » dans le cinéma. Le fait que ce soit une nana et, qu'en plus, on ait plutôt affaire à une anti-héroïne, change énormément l'angle d'approche.

Ce qui a pu être reproché au film, c'est que la demoiselle finit par rentrer dans les carcans de la société, ce qui peut en effet déplaire si on voit le film comme faisant du Metal son thème principal. A l'écran, on a envie de voir une jeunesse rebelle, ce qu'on n'ose pas nous-même faire, un héros choisissant la liberté peu importe le prix. En cela, le film est finalement assez réaliste, sans non plus montrer que cette musique n'est qu'une sorte de phase de l'adolescence. Il montre que cela ne se finit pas toujours comme on le souhaite, que la réalité vient frapper à n'importe quel moment, et surtout qu'un film qui aborde le milieu Metal n'est pas obligé de rechercher absolument le cliché « sex, drugs and rock'n'roll » et de l'exploiter à fond. C'est simplement cette distinction avec les autres qui m'a plu ici. Si on peut considérer qu'un seul aspect du Black Metal est illustré ici dans le scénario, c'est le thème de l'auto-destruction, bien qu'il soit traité sans parti pris, en simple narration.

A cela s'ajoute le fait que la protagoniste, Hera, ne se bat pas avec les préjugés, ou la société qui ne l'accepte pas, ou ses parents qui ne la comprennent pas. Tout ce qui est souvent fortement mis au premier plan à la télévision ou au cinéma. Non, Hera s'en fiche totalement, la seule chose avec laquelle elle lutte, c'est le deuil de son frère, sans forcément le savoir elle-même.

Finalement, l'Islande, le Metal, ne forment qu'un cadre esthétique. Un petit voyage à travers les collines glacées, avec une bande son allant d'Iron Maiden à Venom... Ce qui semble être une petite part innocente joue beaucoup dans le charme qui se dégage du film. Cette petite dose des deux, insérée dans un drame lambda avec un thème assez commun, lui donnent cette ara unique, sans en être le thème central.

 

 

Ce cadre esthétique sert la photographie, rend le film très beau en tant que simples images, car on n'a finalement pas tant de dialogues, et beaucoup de scènes où on voit Hera agir sans aucune explication, de sa part ou d'indices qui suggéreraient une cause, une raison à son comportement. Le spectateur, autant qu'elle, n'a aucune explication à donner à quoi que ce soit.

Tout ce qui est lié au Metal dans ce film est également lié au souvenir de son frère. N'oublions pas que si Hera devient une « metalhead », c'est car son frère l'était. Sa colère, seule face aux interactions glaciales entre les personnages de ce petit village de campagne, seule face aux paysages silencieux, lui donne une vivacité incroyable. L'actrice Thorbjörg Helga Dyrfjörd qui incarne ce rôle réussit à être détestable et sublime à la fois, dans cette allure à la fois froide, agressive, et plus vivante que jamais. Le titre Black « Svarthamar » qu'elle interprète en chant clair est un passage décisif pour montrer la sensibilité de la jeune fille, et sa détermination pour créer ce qu'elle aime, sa manière un peu maladroite de surmonter le deuil de son frère.

On aborde tout de même la culture Metal, et le cadre est tout de même assez bien respecté, sans être trop grand public ni trop élitiste. Je pense que quelqu'un qui n'y connaît rien doit assez bien voir où on veut en venir sans reconnaître de noms de groupes. Le film tourne plutôt à l'hommage discret quand on finit par rencontrer Dead et Euronymous dans leur vingtaine, admirant la musique d'Hera. Et que serait un film liant Metal & Islande sans un petit « Í Helli Loka » de Sólstafir ?

 


Le cadre avait déjà tout pour me plaire, mais le point fort de ce film se trouve dans ce refus d'une approche manichéenne du scénario. La société, par exemple, ne la hait pas vraiment, elle y a tout de même sa place réservée et acceptée. A l'inverse, on ne la comprend pas pour autant, et tout se joue dans un juste milieu. Le Metal n'y est pas vu comme une musique à glorifier ou dont on doit redorer le blason, mais n'est pas non plus traînée dans la boue. Bien qu'à travers le personnage du prêtre, le spectateur reconnaîtra une certaine morale du type « vous voyez bien que ce n'est pas si horrible, et qu'on peut en écouter sans être sataniste », c'est une trame du scénario qui n'apparaît qu'en pointillé, sur laquelle on n'insiste pas. Preuve en est, lorsqu'Hera ose dévoiler son chant sur « Svarthamar » devant un public non-averti, elle fait simplement face à une incompréhension générale, sans être trop pimentée de haine.

L'appréciation de ce film se fait tout de même en fonction de la sensibilité du spectateur et de son identification au personnage et aux thèmes abordés. Je serais curieuse d'avoir l'avis de quelqu'un qui n'écoute absolument pas ce style musical, pour tenter de comprendre comment ce film peut alors être perçu. Néanmoins, lorsqu'on est amateur de Metal, Málmhaus reste un film à voir, par curiosité, ou ne serait-ce que pour savoir que cela existe.