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Christian Thrash Metal for God's sake !

mercredi 23 mars 2016
Lactance

Dit comme ça, le Thrash et le christianisme ne paraissent pas si antithétiques que ça tout bien considéré. Je veux dire surtout par rapport à l'Unblack, bien parti pour rester une éternelle source de discorde entre puristes. Maaais en même temps c'est tout aussi difficile de s'imaginer un thrashard tout de cuir vêtu, casquette Suicidal vissée sur le crâne, se pointer à un concert de Cryptic Slaughter avec trois packs dans le nez avant de se pieuter gentiment à 23h30, un samedi. Tout ça car, faut pas déconner, il y a messe le lendemain. J'accumule volontairement les clichés, mais avouez que le tableau reste cocasse à plus d'un titre.

Parce que déjà le Thrash hérite en partie de la N.W.O.B.H.M. qui, sans rien vous apprendre, commence à pas mal se défendre niveau imagerie satanique entre 1980 et 1983. On va pas tous les citer mais on peut penser bien sûr aux gros darons comme Venom, mais aussi à Satan en l'occurence, qui ne sont ni les premiers ni les derniers à cultiver ce goût pour les artworks evil. En plus des paroles blasphématoires et du look vestimentaire qui vont bien. Sans parler de l'autre influence majeure du Thrash, le Punk, qui n'est pas vraiment branché sur Jésus lui non plus. « No gods, no masters », The Prayer Of A Realist, vous connaissez la suite.




C'est qu'il serait un peu con finalement pour toute cette nouvelle génération de groupes, éduquée petit-à-petit à Metallica et à Slayer par la suite, de se la jouer anti-système (et de faire chier papa-maman) en récupérant les valeurs de l'Amérique conservatrice et puritaine. Dans une forme olympique qui plus est avec d'une part Reagan in da (white) house, et d'autre part la Parents Music Resources Center, bien déterminée quant à elle à pourrir Twisted Sister entre autres1. Mais c'est mal juger nos metalheads les plus dévots, très inspirés par le Rock chrétien qui explose littéralement tout dans les années 70, ainsi que par le Heavy Metal chrétien emporté par l'indétrônable Stryper, qui arrive tant bien que mal à se trouver une petite place dans ce monde d'impies2. En tout cas, ce qu'il faut retenir, c'est que le Thrash chrétien n'arrive évidemment pas par hasard. Sanctuary faisant un peu le pont par ailleurs entre les deux genres, grâce au mythique Refuge Denied.

 

Photographie et interview de Sanctuary extraits du magazine américain Curious Goods (1991).

 




C'est donc surtout à la toute fin des années 80 que naît véritablement le Thrash chrétien – assez tardivement donc – avec notamment un premier album sacro-saint si j'ose dire : Human Sacrifice de Vengeance Rising, sorti en 1988 3. Un album qui ne manque vraiment pas de mordant en comparaison des sorties de la même année, grâce à ses riffs effrénés qui se superposent diablement bien avec la voix bestiale de Roger Martinez. Dans la foulée il y a pas mal d'autres groupes qui suivent le mouvement dont Deliverance, un de mes groupes favoris en la matière, avec son Thrash un peu plus groovy cette fois, sur fond de disto décapante.

 

(Version rééditée de 1995)

On retrouve ainsi rapidement quelques gimmicks, notamment au niveau des paroles très « praise the lord » derrière leur côté évangélisateur, et pas trop portées sur la violence gratuite justement. Comme peuvent le suggérer aussi certaines pochettes visibles ci-dessous. En tout cas les lyrics sont souvent beaucoup plus axées sur le rejet de la drogue et de l'alcool par exemple, voire du suicide qui, bizarrement, n'est pas vraiment un thème très prisé par les Chrétiens en règle générale. De toute évidence ça n'hésite pas à se positionner pour le coup contre les excès du Glam ou du « Thrash athée ». Question musique aussi, je ne vous cache pas que ça peut avoir tendance à se barrer en power ballad ou en petites instrus chiadées. Surtout que la prod' des albums est rarement crade. Autant en profiter donc ! Avec généralement un intérêt plus prononcé enfin pour les voix perchées typées Heavy pour conclure le topo.

 

Je vous glisse dans l'entrefait ces quelques paroles extraites de You Get What You Pray For composées par Tourniquet, pour vous donner une petite idée du genre de textes que l'on peut retrouver. Je vous conseille vivement d'aller jeter un œil à tout l'album Stop The Bleeding d'ailleurs (1990), gros bail dans le milieu.

All of a sudden !

All of a sudden, this big world will end,
Billions of people will wish it never began.
Let us pray !
Let us pray !
No amount of wisdom, stature or wealth,
will impress the ever-loving God or Christ Himself.
Let us pray !
Let us pray !
Let us pray !


 


 

En tout les cas, il serait très mal venu de dire que le Thrash chrétien, c'est forcément du Speed maquillé à la va-vite pour faire genre qu'on tape fort, tout ça pour pas trop s'attirer les foudres du shaytan. En la matière Believer pourrait agréablement vous surprendre aussi avec son véritable travail d'orfèvre sur l'album Sanity Obscure (1990). Avec tout le long des morceaux aux structures assez barrées et des tempos un peu chelous à la batterie, qui pourraient presque faire de l'ombre à Coroner ou à Mekong Delta.

 


Photographie de Believer extraite du numéro du magazine polonais Thrash'em All (1992).

 

Et là c'est le moment où j'en arrive un peu à la grosse question qui est savoir si on peut vraiment parler d'une scène, avec ses propres codes, mais aussi ses différents acteurs. Ce même terme de « scène » qui, je vous l'accorde, renvoie un peu à tout et n'importe quoi de nos jours. Bref. Car c'est bien beau d'avoir plein de groupes mais est-ce que l'esprit derrière tout ça fédère ? Eh bien plutôt deux fois qu'une, car on peut se rendre compte déjà que quelques labels fondent presque tout leurs espoirs sur cette musique, comme R.E.X. Music notamment, qui réunit entre autres sous sa houlette Sacrament et Living Sacrifice5. Avec ci-dessous une petite interview des seconds, où l'on voit subrepticement mentionné un autre groupe répondant au doux nom de Deicide. Priceless, avouez.

 

Interview de Living Sacrifice extraite du magazine américain Sounds Of Death (1993).


Il y a même tout un tas de fanzines / magazines dédiés qui apparaissent et qui supportent le mouvement comme Gospel Metal et White Throne, puis surtout Heaven's Metal. D'ailleurs je vous invite à consulter ce lien car ce mag' existe toujours sous version numérique6. Vous noterez toutefois un léger changement dans ligne éditoriale. Enfin bref, il y a donc une véritable petite fanbase qui prend forme aux States, où tout le monde se connaît finalement plus ou moins de vue. Je trouve ça vraiment cool dans l'esprit d'ailleurs, ce côté un petit peu DIY insoupçonné pour ma part, à des années lumières de la grosse machine qu'était le Rock chrétien pendant les seventies (bon allé un p'tit lien sympa quand même).

 

Deliverance en couverture de Heaven's Metal
     (numéro de décembre 1990).

 

 

 

 

 

 

 

Tourniquet en couverture de Heaven's Metal
(numéro de septembre 1992).

 

 

Le problème, et là je tuerais presque l'utilité mon article, c'est que par la suite cette scène ne décollera jamais vraiment. Car le Thrash chrétien s'adresse du même coup à un public extrêmement restreint, obligé de se réunir surtout autour de boutiques spécialisées en « Christian Music » (si jamais elles veulent bien vendre ce type de zique... déjà), de lire de la presse spécialisée et même de bouger ses fesses à des événements dédiés.

Sans trop faire mon psychologue de comptoir, il y a quelque chose qui coince aussi d'un point de vue identitaire. Parce que déjà que le Heavy chrétien passe moyen chez certains croyants, faut donc pas trop compter sur le Thrash pour changer la donne avec sa musique un peu plus rentre-dedans. Et vice versa, le fan de Thrash n'est pas non plus hyper enthousiaste à l'idée de creuser cette scène à l'époque, « attends ça reste quand même des culs bénis, faudrait leur passer un p'tit Jesus Saves du tout-puissant Slayer pour comprendre ce qu'est vraiment le vrai Metal ». Je la fais courte mais c'est un peu ça en gros. Résultat, cette scène reste complètement marginalisée par les deux communautés, même si après ça n'empêche pas Deliverance de connaître son petit moment de gloire par exemple, en voyant son clip Weapons Of Our Warfare tourner sur MTV.
 

Pour enfoncer le clou le phénomène reste plutôt américano-centré (pour ne pas dire typiquement 'ricain hum). Il y a quelques groupes en Europe qui pointent le bout de leur nez comme Seventh Angel ou Detritus, mais globalement la sauce ne prend pas non plus de l'autre côté de l'Atlantique... Sans aucun mystère la scène commence donc à s'essouffler au tournant des années 1993-1994 et à disparaître peu à peu des radars.

Seventh Angel  jouant au pub The Rock Tavern,
près de Birmingham, en 1990 (photographie prise par Nick Bolton).

Bon je dois reconnaître qu'il y a tout de même quelques petites exceptions encore actuellement, comme Grave Forsaken (tout droit venu d'Australie), qui arrivent tant bien que mal à maintenir le truc un peu en vie. Mais globalement ça reste quand même à un état purement végétatif surtout que, perso, c'est sympa, mais ça casse beaucoup moins de briques qu'à l'époque. Honnêtement c'est clairement plus la petite folie que c'était il y a 25/30 ans.
 

Voilà, c'est assez sommaire ce que je raconte là mais en même temps, faut dire ce qu'il en est, il y a pas masse de trucs sur lesquels on peut s'attarder tout compte fait (même si j'oublie quelques groupes bien sympas comme Die Happy et The Crucified). Du coup inutile de préciser que cette scène reste encore très très confidentielle, même encore aujourd'hui, à l'heure où l'on peut pourtant tout découvrir en un seul clic.

Ce qui reste curieux après, c'est que même si ce mouvement n'a jamais révolutionné quoi que ce soit, on peut quand même lui trouver quelques résurgences. Surtout depuis les années 2000 pour être plus précis8. Quand on regarde de plus près la N.W.O.A.H.M., on s'aperçoit effectivement que beaucoup, beaucoup de groupes se disent chrétiens, mais genre vraiment. On peut citer de tête As I Lay Dying, Demon Hunter, Norma Jean... Après je sais pas si tous ces groupes ont été biberonnés au Thrash chrétien (c'est pas forcément très utile de le savoir), mais ce qui m'intéresse plus, c'est toujours de constater cette continuité entre les différents genres. Finalement, que ça te plaise ou non, le Metal chrétien vaincra hé !

D'autant plus que même dans le « Thrash normal » on peut se rendre compte aussi que certains leaders du genre, ne sont finalement pas si « iconoclastes » qu'ils prétendaient l'être durant leur tendre jeunesse. Jusqu'à très récemment encore par exemple, Dave Mustaine refusait de rejouer en live The Conjuring à cause des paroles légèrement en décalage avec ses nouvelles convictions9. Même Tom Araya – je dis bien le Tom Araya – a une position assez étrange aussi à ce propos, en se revendiquant à la fois comme chrétien mais en te pondant en loucedé God Hates Us All l'air de rien. Comme quoi... Sur ces belles paroles je vous laisse donc creuser un peu plus en détail cette scène encore méconnue, en espérant par ailleurs avoir un peu débroussaillé le terrain et vous avoir fait découvrir quelques petites trouvailles. Je tiens également à remercier Nostalmaniac pour certains tuyaux et pour la doc' !



BIBLIOGRAPHIE


Horn, David, Sheperd, John, Continuum Encyclopedia of Popular Music of the World Volume 8: Genres: North America, Continuum, 2012, 584 pages.

Kegan, Yrjänä, Subgenres of the Beast: A Heavy Metal Guide, AMF Publishing, 2015, 470 pages.

Moberg, Marcus, Christian Metal: History, Ideology, Scene, Bloomsbury Publishing, Bloomsbury Studies in Religion and Popular Music, 2015, 200 pages.

Weinstein, Deena, Heavy Metal: The Music and Its Culture, Da Capo Press, 2000, 368 pages.
 

SITOGRAPHIE
 

http://www.world-religion-watch.org/index.php/fr/rock-and-religion/395-dossier-rock-et-religion-et-dieu-crea-le-rock-jesus-rocks-track-1

http://weeklywire.com/ww/08-07-00/austin_music_feature2.html

http://hmmagazine.com/

http://everything.explained.today/Christian_metal/

 


 

1Comparution en 1985 du chanteur du groupe, Dee Snider.

2Un disque de platine notamment avec l'album To Hell With The Devil sorti en 1986, et une nomination aux Grammy Awards la même année.

3Connu au départ sous le simple nom de Vengeance.

5 Le label Intense Records arrive également de con côté à regrouper Deliverance, Tourniquet, Vengeance Rising et Die Happy.

6 Le magazine a pris toutefois « HM Metal » comme nouveau nom. La ligne éditoriale a profondément changé aussi, vous vous en rendrez assez vite compte)

7Deliverance, Weapons Of Our Warfare, Weapons Of Our Warfare,Intense Records, 1990.

8Quelques groupes de Death ont également eu leur importance dans les années 90, comme Mortification bien sûr, mais je ne parle pas de Metal extrême présentement.