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samedi 8 février 2020

Sadique Master Festival

Tinam Bordage

Prout

Chroniqueur musiques du monde. Parfois Brutal Death / Black / Grind mais rien au dessous de 300BPM sinon c'est trop mou et je m'endors.

Porno, gore, déviance, psychopathie, régurgitation, sont autant de thèmes chers à la grande expérience qu'est le Sadique Master. Mais que se cache-t-il derrière ce franglicisme intrigant : un blog, un livre édité chez Camion Noir, éditeur très souvent présent dans nos pages mais aussi un festival. Horns Up va couvrir pour la troisème année consécutive le Sadique Master Festival dont vous pouvez trouver nos dossiers des années précédentes aux liens suivants : 2018, 2019. C'est donc le bon moment pour nous d'apprendre à connaître la personne à l'origine de ce projet : Tinam Bordage. A l'instar de l'interview de Mathias Averty, réalisateur de Mad Marx et à l'origine du trailer officiel de la cinquième édition du Sadique Master (celle de 2019, censuré sur le net depuis, désolé), nous avons proposé une tribune libre à Tinam, autour de dix concepts qui gravitent à nos yeux autour du concept Sadique Master.


Tinam Bordage

Bonjour Tinam et bienvenue dans nos pages. C'est la seconde fois que nous mettons le focus sur une personnalité du cinéma underground. Pour t'avoir vu graviter autant dans le milieu du cinéma de genre que du Metal extrême, je pense que tu as définitivement ta place dans les pages de Horns Up. Je te propose ainsi l'exercice de style de répondre à dix concepts qui me viennent à l'esprit quand je pense à ta carrière, de manière totalement libre et non orientée. A toi !

  • Tinam Bordage

Naturellement penché vers la transgression depuis mon plus jeune âge, je me suis abreuvé assez tôt au cinéma horrifique et à tout ce qui peut représenter une certaine déviance plus ou moins formée. J'ai rapidement apprécié traumatiser mes camarades de classe malgré une inadaptation sociale totale qui m'a marginalisé. Je cesse donc ma scolarité en seconde et me passionne pour tout un tas de choses qui me paraissaient chiantes à l'école : la littérature, la philosophie, la science...Mais par-dessus tout, j'exploite ma passion première : le cinéma. Bien que j'affectionne toujours autant cinéma de genre traditionnel, je ressens un sentiment de manque, comme une impression de tourner un peu en rond. Ainsi, je découvre des films plus obscurs, plus extrêmes, et sans plus tarder je me spécialise là-dedans. Je crée l'entité Sadique-master, le média, le blog, le site, le festival virtuel. Puis je décide de passer à l'étape supérieure avec la création d'un festival réel et l'écriture d'un livre. Je pense honnêtement que ça m'a empêché de faire un remake de Columbine.

  • Sadique Master 

Cet étrange mot de franglais provient en réalité de deux influences de l'époque lorsque je lisais beaucoup de Sade et appréciais fortement les "Masters of horror". Vous voyez la liaison... Sadique-master peut se traduire, dans ses fondements, comme une entité sordide. Ça a été successivement un blog, un média, un site, un festival virtuel, un festival réel, puis un livre. Le site centralise tout ce qui évolue autour du cinéma underground extrême actuel, tandis que le livre trace une rétrospective complète, dresse un historique et se livre à une analyse sociologique, philosophique... Je pense que tous ces éléments se complètent bien pour former l'entité, et le festival actuel marque son aboutissement dans la vie réelle tout en lui servant parallèlement de vitrine. Une des particularités du Sadique-master festival qui contribue fortement à son ambiance unique provient aussi de son public qui n'est ni plus ni moins que l'extension de mon propre réseau accumulé par ma fréquentation dans différents milieux alternatifs. Je connais donc 90% des personnes présentes, certaines plus personnellement que d'autres, et je trouve ça génial qu'autant d'esprits dépravés puissent aussi bien cohabiter pendant 3 jours dans le monde réel.


Le livre de Tinam sur le cinéma underground extrême

  • 7ème Art 

On considère souvent le 7ème art comme l'art suprême qui conjugue tous les autres, qui les assemble, et avant même de me faire cette réflexion j'ai toujours ressenti le cinéma ainsi. La richesse qu'il peut déployer est incroyable. Les gens tendent à l'oublier, mais le cinéma est la représentation paroxystique de la réalité. Certains en regardent pour s'évader, pourtant on a de réelles personnes qui jouent des histoires potentiellement réalisables avec de vrais sentiments. Des philosophes ont brillamment exprimé ça, comme Artaud lorsqu'il dit "La peau humaine des choses, le derme de la réalité, voilà avec quoi le cinéma joue d'abord." ou encore Cocteau "Le cinéma, c’est l’écriture moderne dont l’encre est la lumière.". Parfois, certaines personnes pensent que je n'aime que le cinéma underground extrême et semblent étonnées lorsque je leur cite Melancholia (que je trouve émotionnellement très violent) de Lars von Trier parmi mes films préférés. Le cinéma reste ma passion principale et, cela va de soi, lorsqu'il s'assimile à des thématiques que j'apprécie ou des univers auxquels je suis sensible, ça apporte une stimulation supplémentaire.

  • Gore, Porno & Déviance

Trois mots qui me filent une érection instantanée ! Haha. Dans le cinéma gore, on assimile symboliquement et organiquement l'effusion de sang à ce que représente l'éjaculation dans la pornographie. Une giclée de sang pour une giclée de sperme et ce même sentiment de "jouissance" de la matière. Cependant, pour ma part j'apprécie le gore (réaliste ou grotesque et potache) quel qu'il soit, alors que la pornographie standard me laisse plutôt de marbre.

La liaison des deux m'inspire par contre beaucoup plus de sympathie ; et ce d'autant plus lorsque la déviance vient s'intégrer à l'histoire. C'est probablement ce qui rend la tétralogie vomit gore aussi stimulante même si vous n'êtes pas émétophiles. D'ailleurs, on a encore pu le constater à la 4ème édition du Sadique-master festival lors de la "performance porno vomit gore" (quel bel intitulé) de Realistik fx à laquelle j'ai participé, car hormis les quelques-uns scandalisés et qui se sentaient mal, les personnes présentes ont adoré. J'ai personnellement eu l'impression d'être comme à mon anniversaire avec tous mes amis.


Interview de Tinam dans Hot Vidéo

  • Metal

C'est une "grande famille" rire. Et Iron Maiden c'est vraiment de la merde. Plus sérieusement (même si je trouve réellement Iron maiden fade et sans âme), dans le metal j'écoute essentiellement du Black car l'atmosphère et l'esprit me touchent plus. Je bloque complètement sur la majorité des groupes de metal mainstream (pas par anticonformisme primaire) et je crois, par conséquent, n'avoir jamais payé un concert individuel plus de 30/40 euros. Pour rester sur le Black Metal, je ne vois pas l'intérêt d'aller voir un concert avec des mecs sages sur scène qui jouent tranquillement leurs morceaux, un public statique qui juge d'un air approbateur. Pour moi, le Black Metal (et je ne parle pas de l'atmo – c'est encore différent) c'est par exemple un concert (le seul, d'ailleurs) d'Ordo Blasphemus à Angers au Café Latin dans une cave où on peut pas stocker plus de 70 personnes, où il n'y a aucune issue de secours, et où lorsque ça part en pogos tu te manges les ardoises en pointe incrustées dans le mur sur l'arrière du crâne et dans les coudes. Déjà, là ça commence à sentir bon. Mais alors quand le chanteur s'enfile une bouteille de pastis sur scène en 5 minutes, qu'il explose la basse par terre, qu'il crame un drap sur l'ampli et le balance devant nous puis nous pousse afin qu'on fasse des pogos sur le feu et dans la fumée pendant qu'un des membres improvise un salut nazi sans raison et que le chanteur sort un flingue pour tirer dans le plafond... là... Ça c'est un concert de Black Metal.


Joli t-shirt et belle déco

  • Littérature

Je pense que ma passion pour le Black Metal rejoint assez celle que je peux avoir pour la littérature (dans une certaine conception) puisque les deux cultivent souvent le même lyrisme. Evidemment, je ne parle pas d'inepties pour ménagères telles que les purges littéraires de Guillaume Musso ou Marc Levy. Mais lorsque je lis "Les Chants de Maldoror"j'ai une exaltation plus ou moins semblable à quand j'écoute un album d'Urfaust. D'ailleurs le titre d'un des albums de Schammasch ne se nomme pas hasardeusement The Maldoror Chants: Hermaphrodite. Là je pense aussi à l'excellent Eros Necropsique, une parfaite symbiose musique/littérature. J'avoue cependant brasser large dans mes affinités littéraires : du roman pur très noir tel que "Le corps exquis" de Poppy Z. Brite ou encore "Le Nécrophile" de Gabrielle Wittkop. Pour rester plus récent, "Nuit Noire" (récemment réédité et intégré dans son "Métaphysique de la Viande") du collègue Christophe Sibert est aussi une claque monumentale. Sinon, de différentes époques, je lis autant du thriller, de la SF anticipation, de la vulgarisation de hard science, de la poésie, de la criminologie, de l'anthropologie, de la sociologie, de la philosophie, de la politique...


Notez la bite autour de son cou

  • Philosophie

Très vaste sujet...Sûrement encore plus que les précédents. Mon triptyque sacré tourne autour de Cioran/Bataille/Artaud mais je m'intéresse et lis beaucoup d'auteurs et d'horizons parfois très différents. D'ailleurs, ce qu'a développé Bataille autour d'hypermoral dans "La littérature et le mal" s'applique totalement au cinéma que l'on représente avec Sadique-master. On peut évidemment retrouver de la philosophie dans absolument tout, donc difficile à se résoudre à seulement quelques aspects ou quelques mediums utilisés. Dans le cinéma, elle peut donner de magnifiques choses ; le cinéma de Tarkowski ou de Lars von Trier nous le prouve directement. Même le cinéma extrême arbore parfois directement de la philosophie, et ce de l'adaptation directe avec "Les 120 journées de Sodome" de Pasolini jusqu'au cinéma de Karim Hussain dont son "Subconcious Cruelty" m'a marqué à jamais.

  • Politique

Sujet peut-être moins vaste mais finalement beaucoup plus délicat... Comment vivre pleinement son besoin de transgression et son envie de liberté dans une société plus que jamais régie par un politiquement correct sournois, nonsensique et inversé... ? Aujourd'hui, le moindre débordement qui ne va pas dans le sens de la pensée dominante provoque une véritable hystérie collective et tend même à vous pousser vers le suicide social. Il suffit de voir le formatage du chant audiovisuel commercial français pour constater le désastre. Puisque le cinéma nécessite souvent un certain budget pour une réalisation, on voit assez peu d'œuvres réellement transgressives car elles ne peuvent tout simplement pas être financés et ne voient donc pas le jour. La possibilité d'auto-production de la littérature et de la musique permet là-dessus d'élargir davantage le champ. Quand on voit l'ascension de certains films "sociaux" français ultra manichéens aux Oscars, ce n'est pas franchement rassurant.


Notre Dolorès nationale dans le trailer du Sadique-Master de 2019

  • Anecdotes

Une anecdote que j'ai pris grandement plaisir à raconter en direct au Sadique-master festival aux côtés d'Eric Falardeau (le réalisateur) qui était dans le jury, c'est mon premier visionnage de Thanatamorphose au cinéma. Un ou deux jours avant le Sadique-master festival, Panic cinéma l'avait programmé en parallèle à l'Etrange festival qui l'a curieusement ignoré et qui se déroulait exactement sur la même période. La salle se composait de maximum 15/20 personnes dont 3-4 amis et moi-même. La diffusion commence normalement, on entend quelques bruitages au niveau des rangs derrière nous et on aperçoit un vieux : sosie total d'Emile Louis. Engagé dans le film depuis environ une dizaine de minutes, le charmant monsieur entame une série de bruitages assez imperceptibles et se trémousse curieusement dans son siège. Puis les bruitages s'accentuent et il respire très fort... On commence à se demander ce qu'il fait, si c'est un malaise ou quelque chose du genre. Et plus il continue, plus on hésite entre : le mec fait une crise cardiaque ou il se branle ? Mais ça s'étend beaucoup trop longtemps et son cœur semble très bien fonctionner. Ouais, ce vieux pervers sosie d'Emile Louis est entrain de se branler. Pas devant un porno ou un truc logiquement excitant, non, mais devant un film contemplatif sur une femme qui... se décompose progressivement. Dans notre groupe, certains riaient, d'autres se sentaient gênés.

Moi, j'ai trouvé ça génial. Bon, au bout d'un moment le personnel du cinéma lui a demandé de quitter la salle.

Ps : Si vous cherchez dans les archives de la séance sur la page de Panic cinéma, il y a une photo où ce cher monsieur apparait. Quel souvenir !


Malgré ses déviances, il a quand même des potes

  • Autopromotion

Puisque la ville de Paris refuse de nous subventionner et que les gros médias du cinéma de genre nous boudent, notre seule promotion passe par le bouche à oreille, le réseau, et quelques médias alternatifs. Donc essentiellement par toi, cher lecteur. Miraculeusement, après 6 éditions, le Sadique-master festival existe toujours et continue à prendre de l'ampleur, et ce au grand dam des pronostics foireux d'une belle ribambelle de détracteurs. Malgré le passage de nombreux réalisateurs importants du milieu, il demeure pour l'instant compliqué de faire venir des personnes telles que Fred Vogel, Kiyotaka Tsurisaki ou Llyod Kaufman qui habitent loin et nécessitent un défraiement conséquent. Pas de panique : si vous êtes aussi pauvres que nous, payez simplement votre place au festival et parlez-en partout autour de vous. Propagez l'infamie. Si par contre vous êtes riches, faites un virement ou un chèque à nous plutôt qu'aux unijambistes transgenres d'Ethiopie. Eux, ils ne vous vomiront pas dessus et ils ne vous montreront pas des films avec un mec qui s'appelle Daniel et qui s'enfonce un tournevis dans l'urètre. Nous, si.


L'affiche de l'édition 2020 du Sadique-Master

Merci Tinam ! Vous pouvez retrouver toutes les informations autour du Sadique Master Festival sur ce lien.