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mardi 17 juillet 2012

LBoulvard

Myriam

U-Zine

U-zine.org, webzine musical metal actif entre 2004 et 2015. Fermé en 2015 suite à sa fusion avec 2Guys1TV, ses articles (chroniques, live-report, interview, dossiers, ...) sont désormais disponibles directement sur Horns Up via ce compte !

Lors du Hellfest, en sortie de la conférence de presse, le hasard me fait rencontrer Myriam, charmante jeune metalleuse marocaine. La discussion passe rapidement de banalités à la scène métal marocaine. Un déclic se produit en moi ... Les maghrébins n'écoutent donc pas tous du raï et du rap ? Les clichés tombent, les barrières aussi ... Recontacté depuis, Myriam a accepté de répondre à nos questions sur la scène métal marocaine et nous livre une interview forte en enseignements ...

Bonjour Myriam, avant toute chose, peux-tu te présenter et nous expliquer ton lien avec la musique métal ?

Salut, je suis journaliste marocaine, j’opère à la télévision Marocaine depuis 5 ans. Le métal est ma musique de prédilection depuis plus de quinze ans. Et en plus de ça, je travaille au sein du festival Marocain « Lboulvard », le seul festival dans la région qui inclut dans sa programmation une journée dédiée au Metal !


Alors que l'on associe difficilement le métal et le Maroc, comment en es-tu arrivé à t'intéresser à cette scène ?

C’est une longue histoire, je suis tombée sur le metal par hasard. J’étais dans une boum chez une copine, on a passé toute l’après midi à danser sur les tubes des early 90’s. En début de soirée, son grand frère débarque, coupe la musique en nous annonçant que notre moment était révolu. Il s’installe avec ses potes, et met « … And justice for all ». Je suis restée bouche bée. J’ai noté le nom du groupe, et j’ai essayé de m’intéresser au style musical de mon coté. Ce fut très dur à l’époque : pas d’internet, pas de connaissances qui écoutaient ce genre musical, le seul et unique moyen était de fouiner dans les chaines câblées. J’ai finis par trouver une chaine musicale qui s’intéressait au style: Viva zwei, une chaine musicale allemande de musique alternative, avec une diffusion les Jeudis tard le soir d’une émission sur le métal extrême qui s’appelait VIRUS. Je ne comprenais rien à ce qui se disait, mais je commençais à identifier les groupes, j’enregistrais chaque émission sur cassette vidéo. Autre élément primordial qui nous aidait à comprendre la culture métal et à identifier les groupes à Casablanca : la vente des magazines métal, avec 4 ou 5 ans de retard, on pouvait dénicher chez quelques kiosques (moins d’une dizaine) des vieux numéros de Hard Rock magazine, Hard’n’heavy, malgré le décalage des années. Je commençais à mettre des noms, des têtes sur les groupes que j’écoutais.

En 1995, j’assiste à mon premier concert de metal dans un lycée à Casablanca. Le concert d’Immortal Spirit , l’un des groupes pionniers du style dans le pays. Quelques années plus tard, je fais mon stage de fin d’année dans une agence de communication, j’y croise le chanteur, on sympathise, il m’introduit au cercle des metalleux Casablancais, et je n’en suis plus jamais ressortie …


Tu es donc originaire du Maroc, quel est l'état actuel de la scène métal dans ce pays ?

La scène métal Marocaine évolue mais lentement. Malgré le fait qu’il y ait très peu de concerts, très peu d’événements liés au métal, la scène underground existe et fait avec les moyens du bord. Je vous ai parlé tout à l’heure de « Lboulevard ». Ce festival de musiques alternatives consacre sa deuxième journée entièrement au Metal. La journée compte un tremplin pour les groupes locaux préalablement sélectionnés, et le soir s’enchainent des concerts avec une tête d’affiche, pour laquelle ouvrent des groupes locaux. Ça reste l’événement principal que tous les metalleux attendent, et il ne se passe pas grand-chose le reste de l’année, malheureusement.


Au niveau du public, y a-t-il une réelle demande comme dans les pays Européens ou s'agit-il plus de die-hard fans comme en Amérique du Sud ?

Impossible de nous comparer à l’Amérique du Sud, qui compte quand même plusieurs festivals, sans dire que les groupes incluent cette région dans le cadre de leur tournée. Ici il y a bien sur une demande, des attentes, mais pour le public cela relève de l’utopie de voir des concerts s’organiser au Maroc. Ils restent lucides … assoiffés mais lucides, et ca leur permet de déguster les rares manifestations qui s’organisent. En 2005 par exemple, Kreator (le premier groupe international à avoir joué ici) a joué devant 45000 personnes, ils étaient très surpris de voir autant de monde se déplacer pour les voir … Se sont succédés depuis Moonspell en 2006, Gojira et Paradise Lost en 2007, The Exploited en 2008, Sepultura en 2010 et Arch Enemy l’année dernière.
 

Les groupes disposent-il des moyens adéquats en termes de studio d'enregistrement ou de salle de concert ?

NON, les salles de concerts sont quasi inexistantes, pareil pour les studios d’enregistrement, même chose pour les instruments de musique (il est très difficile de trouver les instruments, il faut faire ses courses à l’étranger pour réunir le matos). Le seul endroit ou peut s’épanouir un jeune rocker au Maroc, c’est le Boultek, un local affilié au fameux festival « l’bouelvard » que j’ai évoqué précédemment, et qui a fait un travail d’accompagnement des artistes (studios qui datent de 2 ans, petite salle de concert). Mais ça reste bien sûr très insuffisant.


Quels sont les groupes "phares" de la scène marocaine ? Quels sont les genres principalement abordés (death, black, heavy, ...) ?

La scène métal Marocaine a vu sa belle époque dans les années 90 : Immortal Spirit, Nekros, Nightamre, Total Eclipse ; pour ne citer qu’eux ont marqué l’histoire métal locale. Il y avait une aura autour de ces groupes qui évoluaient dans l’undergroud pur et dur. La condition politico-sociale du pays donne une autre connotation au métal ici : la pauvreté, l’oppression, la tradition et la religion, font du metal quelque chose de défendu. A cette époque, je me souviens que la quasi-totalité des groupes vacillait entre le death et le black metal et un peu de grind, la bande son adéquate pour illustrer la réalité d’une jeunesse en quête de liberté, une jeunesse en colère, révoltée qui opère dans un climat ou la différence est perçût comme un danger. Cette histoire s’est soldée par l’emprisonnement le 16 février 2003 des 3 principaux groupes de métal sur la base d’accusations absurdes telles que : ébranlement de la foi musulmane. Leurs CD et Tshirt ont été confisqués, le juge n’avait pas honte de les brandir comme preuve ultime au tribunal.
 

A quelles sortes de difficultés se heurte la scène métal marocaine ? 

La liberté de s’exprimer à une certaine limite et le manque de moyen principalement !


Comment cette musique est-elle perçue par le grand public ?

Il faut dire les choses telles qu’elles sont, elle est très mal perçue, elle évoque tout ce que rejette ardemment notre société : rébellion, différence, liberté, sans parler de l’association automatique avec le satanisme, autant dire que dans un pays musulman, c’est chaud !


Le métal étant un genre contestataire, voir volontairement blasphématoire, en Europe, c'est l'Eglise qui est souvent visé dans les textes. Retrouve-t-on une critique de l'Islam au sein de ces groupes ?

Il y a eu des tentatives minimes … Je me rappelle d’un groupe mystère qui avait fait une brève apparition dans la scène en 2003, qui se nommait « Jahiliya » , et qui jouait avec les symboles religieux … Pour le reste, les messages « laïques » sont transmis de manière subtile, sinon les sujets politico-sociaux sont traités en masse. Le Maroc n’a jamais connu un groupe de métal qui a blasphémer ouvertement, on en est pas là encore, je veux dire, rien que le fait d’avoir des cheveux longs est considéré comme un acte très subversif, alors on a de la marge …
 

Du métal "arabe" au sens large, on connait surtout Dubaï, avec Nervecell ou le Desert Rock Festival. Quel regard portes-tu aux scènes des autres pays arabes ?


Je m’y intéresse forcément, parce que je connais l’impact du métal dans les pays arabes, il est le même à des degrés différents bien sûr : être metalleux en Arabie Saoudite, ce n’est pas être un metalleux au Maroc… Concernant Dubaï, je ne suis pas forcément en admiration devant ce qui se fait en terme d’événements, ils ont le pétrodollar, ils peuvent ramener qui ils veulent, quand ils veulent, c’est réglé. Je suis plus sensible à ce qui se passe en Egypte (excellente scène extrême), en Algérie et en Tunisie, c’est encore underground. Au festival « lboulevard », des groupes algériens et tunisiens de métal, sont venus jouer, ce fut un grand moment, une manière de dire aussi que le metal lie les maghrébins, politiquement décimés. Le metal dans les pays arabes, c’est un style qui a accompagné les révolutions, qui va de paire avec la revendication des libertés individuelles, la laïcité, et qui commente les guerres. J’ai toujours pensé que la bande son de ce qui passe dans les pays arabes devait forcément sonner métal.


Tu étais au Hellfest, qu'en as-tu pensé ? Penses-tu qu'un évènement de ce type (à plus petite échelle) est possible à court terme au Maroc ?

Pas dans les 20 années à venir en tout cas. L’boulevard qui est à beaucoup plus petite échelle que le Hellfest peine à exister…..


Si tu as un message à faire passer, un coup de cœur à transmettre, je te laisse le mot de la fin ...

Très peu de gens conçoivent l’existence de milieux métal dans les pays arabes .C’est dans ces pays-là ou cette musique garde toute son authenticité, donc je vous remercie pour votre intérêt !!


En guise de complément, vous pouvez également regarder l'émission de Tracks, consacrée à la scène musicale (rap, metal, ...) marocaine. L'histoire de l'arrestation y est détaillé.




Merci donc à Myriam pour cette conversation riche en enseignements, pour sa gentillesse et sa foi à transmettre sa passion de son combat pour le metal au Maroc.