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Album

09 décembre 2014 - U-Zine

The Devin Townsend Project

Deconstruction

LabelCentury Media Records
style(Devin Townsend Metal)²
formatAlbum
paysCanada
sortiejuin 2011
La note de
U-Zine
9.5/10


U-Zine

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Pour les trois du fond qui ne suivent pas et même pour ceux qui s’en foutent, un petit et bref rappel des faits s’impose, Devin Townsend, artiste bipolaire et fort respecté s’est lancé dans la composition d’une tétralogie, un mot qui fait bien et qui veut dire que l’album présenté ici constitue un volet d’une entité musicale globale à quatre têtes, et c’est à la troisième que nous nous attaquons aujourd’hui.
Présenté comme une sorte de biographie musicale, Devin a entamé avec Ki sa propre thérapie, dévoilant plus que jamais une partie de lui-même au cœur de chaque élément de son édifice, un sentiment, un état d’esprit, une histoire aussi. S’étalant 4 atmosphères et discours différents, animée par un seul et unique cerveau, cette colossale entreprise aurait tout eu de l’exercice casse-gueule s’il elle avait été engendrée par un artiste un peu moins doué, un peu moins écorché vif, un peu moins habité par son art.

Deconstruction, troisième opus de la saga Devin Townsend Project est incontestablement l’album le plus énervé et le plus allumé que le Canadien ait sorti depuis de nombreuses années sans pour autant être le plus violent de sa discographie. La violence est intérieure ici, explosant de temps à autres, mais toujours habilement contrebalancée par des aspects plus calmes et cristallins. Devin Townsend réunit un peu sur Deconstruction tout ce qu’il a accompli dans sa carrière, Strapping Young Lad inclus, dans un pèle mêle parfaitement chaotique à la première écoute. L’étiquette colle avec le produit, Devin déploie une immense déconstruction musicale, passant d’une atmosphère l’autre avec à-coups, multiplie les ambiances et les agressions autant que les caresses.
Devin Townsend paraît poser un regard en arrière, contemple ses confessions musicales afin de puiser les essences d’un projet puis de l’autre pour en intégrer un élément dans un bouillonnant chaudron, selon les indications d’une recette incompréhensible pour le commun des mortels.
De prime abord, on perçoit Deconstruction comme une ballade dans un Disneyland dirigé par PDG sous psychotropes, qui aurait un peu trop abusé des films de Tim Burton. (Le final de The Mighty Masturbator).
Très brouillon et peu cohérent, Deconstruction déçoit premièrement par son aspect fourre tout bordélique, où l’on pioche autant dans du SYL que dans un mélange improbable du papillon d’Infinity copulant avec un Ziltoïd enragé.
Tout y est fantaisie, magma de chœurs, vivier de rythmiques alambiquées, d’échos assourdissants de hurlements et de murmures. Nul ne saurait dire qui de la guitare, des parties orchestrales ou de la voix a l’ascendant sur l’autre. Pourtant, on connaît fort bien le gars Townsend.
Devin Townsend, c’est déjà un son indéfinissable, qui réussit le tour de force de rendre cristallin le plus impénétrable bloc sonore, paradoxe maîtrisé par le maestro depuis des années déjà, mais Deconstruction, par ses structures a priori sans assemblage logique désarçonne le plus aguerri des fans du Canadien.
Devin Townsend, on le sait, est aussi un artiste qui laisse peu de place au hasard, on le connaît perfectionniste et méticuleux, peaufinant jusqu’au plus insignifiant détail de sa musique lors de sa conception.

C’est pourquoi la première écoute ne saurait être la seule, sous peine finalement de passer à côté du skeud le plus abouti de son impressionnant palmarès. D’ailleurs, l’objet ne sera pas parfaitement digéré avant de nombreuses écoutes. Mais sachez que plus vous avancerez, et plus vous briserez les remparts hermétiques de l’opus pour vous approprier peu à peu les richesses innombrables qu’il renferme.
Effectivement, Deconstruction, nous l’avons dit, empreinte de nombreux éléments déjà dévoilés dans les livraisons précédentes du maestro, mais au lieu de les considérer individuellement, c’est cette fois ci dans une explosive unité qu’ils s’expriment, offrant à cette occasion un album complet et complexe, dont la densité époustouflante et parfois suffocante expliquent le fait que Townsend ait écrit le très paisible Ghost (qui est le quatrième volet de sa tétralogie) avant celui-ci. Une dernière bouffée d’air avant la plongée en apnée.

Deconstruction est un albm qui suppose une participation active de l’auditeur, qui devra maintenir ses sens en alerte d’un bout à l’autre pour percevoir les nuances et absorber les structures dont la cohérence et la maîtrise se révèle à mesure que se multiplient les écoutes. Excentrique, sombre, agressif, puissant sont autant de qualificatifs qui méritent d’être apposés à des brulots tels que la formidable Juular et son tracé fantaisiste ou l’excellente et virulente Pandemic, qui rappelle que Townsend sait encore faire preuve d’une rage non feinte, qu’on croyait éteinte depuis City, mais nettement plus adulte que par le passé.
Réalisant un vieux rêve en s’entourant du décidément très demandé orchestre de Prague, Devin Townsend a façonné un terreau fertile à ses pérégrinations musicales, leur permettant d’occuper toute l’ampleur qu’elles méritent, libéré du carcan des chœurs et orchestrations assistées par ordinateur. Cela sans ressent, l’impact des compositions n’en est que plus frappante.

Si les premiers instants de Deconstruction contiennent difficilement l’énergie explosive de Devin Townsend qui semble évoquer les phases les plus obscures de son passé, notamment sa consommation excessive de drogues, l’alcool et autres herbes embrumant la cervelle, Juular donne pleinement le rythme et sonne comme le véritable commencement de l’album qui ira crescendo jusqu’à son apothéose finale. Laissant libre cours à ses envies et ses émotions, Devin Townsend, tout en conservant une orientation virulente, jongle avec les plaisirs, qu’ils soient frappés et psychédéliques (les aigus électroniques de Deconstruction rappelleraient presque Electrocution 250), ou plus poignants de sérieux (la splendide introduction de The Mighty Masturbator), et désagrège ses propre influences, sa propre musique, pour la reconstruire depuis sa source, osant aller plus loin qu’auparavant.
Car finalement Deconstruction c’est ça, c’est peut être l’album qui saurait réconcilier les fans exclusifs de SYL, s’ils acceptent de pénétrer dans l’univers bien personnel du Canadien. C’est aussi l’album qui semble être la réponse à la prolifération des projets du génie Townsend, qui se cherchait peut être trop, exprimant une chose ici, et une autre là. Deconstruction centralise ce trop-plein d’énergie et de créativité, le libère autant qu’il le canalise, éclate au visage de l’auditeur abasourdi face à cette implacable démonstration de science de composition, même si le risque d'overdose pointe le bout de son nez quand on l'avale d'une traite.

Alors certes, Deconstruction divisera, sera adoré autant que rejeté. Pour le cas du rejet, je ne dirai pas grand-chose sinon ceci : Persévérez. Vous ne vous approprierez pas l’album aussi facilement que cela, l’assimilation de ces neuf morceaux de bravoure se feront dans la douleur, et vous souffrirez autant de déception que d’incompréhension, ça a été mon cas, jusqu’à ce que je fasse le choix d’écouter plus attentivement que d’accoutumée et finisse par percer la coque rigide et froide de Deconstruction tout en me prêtant au jeu vite plié du ‘cherche un peu les guests’, nombreux et prestigieux sur ce skeud d’ailleurs. Mikael Åkerfeldt (Opeth), Joe Duplantier (Cocorico) Ihsahn et d’autres secondent l’artiste dans le parcours chaotique de Deconstruction. Les interventions des hurleurs sont relativement discrètes et ne nuisent pas au sentiment d’œuvre personnelle et intime dégagé par cet opus.

En un mot comme un cent, Deconstruction est un grand album, que Devin Townsend aura grand peine à enterrer. Gageons simplement qu'il n'aille pas plus loin dans cette démarche déjà aboutie, au risque de surcharger l'auditeur, de le perdre au passage et de provoquer l'indigestion.
En attendant, ruez vous dessus, je vous le recommande.

1. Praise The Lowered
2. Stand
3. Juula
4. Planet Of The Apes
5. Summera
6. The Mighty Masturbator
7. Pandemic
8. Deconstruction
9. Poltergeist

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