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Les voix les plus torturées du Black Metal

vendredi 13 mars 2020
S.

“Il n’a pas mal à la gorge à la fin lui ?”. Cette phrase, vous l’avez forcément entendue de la part de non-initiés. De tous les courants musicaux, le Black Metal est un des genres où la prestation vocale est la plus extrême. Dans certains cas, elle fait carrément figure d’instrument à part entière, tant la variété du timbre est grande et apporte beaucoup aux compositions.

Parmi les milliers de groupes existants, ou ayant existé, quelques uns présentent des vocalistes hors norme, qui vont bien au-delà des standards du genre.

L’idée de ce petit article est de (re)découvrir de façon non exhaustive ces chanteurs pas communs, dans des registres très variés, allant du macchabée au malade psychiatrique, en passant par les approches lycanthropiques…


Dead (Mayhem)

On commence par l’un des plus célèbres personnages : Per Yngve Ohlin, plus connu sous le pseudonyme de Dead. Sa voix sur le Live in Leipzig de Mayhem participe grandement à cette odeur putride qui émane de l’enregistrement. Pour moi le meilleur opus live jamais sorti en matière de Black Metal. L’individu se suicide un an plus tard d’une balle dans la tête, à l’âge de 22 ans seulement.

 

 

Nattramn (Silencer)

Alors lui, on peut dire que sa voix a le don d’irriter. Mikael Nilsson, alias Nattramn, retranscrit un véritable état de démence et d’anxiété pathologique sur l’unique album de Silencer, Death, Pierce me. Un monument en matière de Black Metal dépressif. Des vocaux pleurnichards, schizophréniques, emplis de détresse qui participent beaucoup à l’âme singulière de cet opus. Les rumeurs circulent comme quoi le bonhomme aurait fini à l’asile peu de temps après l’enregistrement de Death, Pierce me...

 

 

Dunkel (Sale Freux)

Pour avoir longtemps vécu avec sa défunte corneille Iris, Dunkel semble s’être approprié le timbre des corvidés, tant sa voix rappelle les cris de l’oiseau noir. Au-delà de ça, on ressent chez lui tout son dégoût pour l’humanité, vomissant ses sentiments noirs comme cette rancoeur qui ne cesse de le ronger. Marqué par les mauvaises expériences de la vie, Dunkel s’en nourrit pour rendre ses travaux aussi négatifs qu’amers, tout en faisant preuve de sincérité.

 

 

Gaamalzagoth (Moonblood)

Moonblood est une formation culte du Black Metal allemand, qui n’est plus en activité aujourd’hui. Le duo teuton a enflammé l’underground dans les années 90 / début 2000, avec ses nombreuses démos aux tirages tellement limités qu’il est désormais difficile de mettre la main dessus. Si Occulta Mors était la tête-pensante de ce projet en termes de composition et d’instrumentation, Moonblood était aussi réputé pour la voix hors norme de Gaamalzagoth. L’individu semble être à la frontière du vivant et du mort, tant il dégage une aura de macchabée possédé. S’il est difficile de s’en rendre compte sur les productions les plus crues du groupe, les albums studio lui rendent justice. Je pense en particulier à l’excellent Blut und Krieg, leur meilleure réalisation selon moi. Sinon, il est encore possible d’entendre Gaamalzagoth sur son projet parallèle Azaxul (mais la qualité est un peu plus aléatoire).

 

 

As Xe Xe Chax Heyatha Zhaiyrhous (Nahash)

En compagnie de Poccolus, Nahash fait partie des formations cultes de la discrète scène lituanienne. Wellone Aeternitas, sorti en 1996, est un album magnifique, dans sa composante nocturne et mélancolique. Mais paradoxalement, ce n’est pas sur la version studio que la partie vocale impressionne, mais en concert. Au micro (et à la guitare), on trouve un dénommé As Xe Xe Chax Heyatha Zhaiyrhous, membre fondateur de Nahash. A mon grand regret, je n’ai jamais eu l’occasion de voir ce groupe sur scène, alors je me base sur des captations de leurs prestations à Vilnius. Et... comment dire... Ce type n’est pas de ce monde, tant sa richesse vocale est dépourvue d’humanité. L’individu délivre des cris tantôt lycanthropiques, tantôt fantomatiques, renforçant l’aspect nocturne et tourmenté des compositions. L’atmosphère qui se dégage du plateau est tout bonnement effrayante...

 

 

Meyhna'ch (Mütiilation)

Dans les années 90, les Black Legions ont beaucoup fait parler d’elles au sein de la scène Black Metal, bien au-delà des frontières hexagonales. Pour preuve, bon nombre d’artistes actuels du milieu avouent leur fascination pour ce groupuscule, dont encore beaucoup d’interrogations perdurent à son sujet. Parmi les nombreux projets des Black Legions, Mütiilation est à mon sens le meilleur et le plus abouti. Les premières productions, jusqu’à Remains of a Ruined, Dead, Cursed Soul inclus, soit la période 1992-1999, ont une véritable âme putride (la suite est à mon sens largement dispensable). Derrière les manettes de Mütiilation, on retrouve Meyhna’ch, qui est sans conteste la personnalité la plus connue des Black Legions. Outre la qualité de composition à ses débuts, il se démarque par sa voix particulière, torturée au possible, donnant une grosse plus-value morbide aux morceaux. C’est sale, malsain et extrême...

 

 

Unhold (Luror)

Sven Zimper, alias Unhold, est un membre actif de la scène Black Metal. Outre le fait d’être le tenancier de World Terror Committee, label dont la qualité des albums produits n’est plus à démontrer, l’individu a participé de près ou de loin à de nombreux projets. Celui qu’on pourrait qualifier de plus personnel est sans conteste Luror puisqu’il est à la baguette de tous les instruments, y compris donc la voix. Le musicien a plutôt un jeu vocal varié, mais c’est surtout dans ses élans démentiels que le bonhomme se démarque. Ses cris instaurent un sentiment de malaise, tant la souffrance est palpable. Le musicien semble tantôt sous le joug de tortionnaires, tantôt dans un état d’aliénation totale. C’est à mon sens sur The Iron Hand of Blackest Terror, album paru en 2003, que cette ambiance angoissante instaurée par les vocaux se vérifie. Jugez plutôt.

 

 

Sorrow (Austere)

Dans les années 2000, avec son compère Desolate, Sorrow a mis en éveil l’un des plus beaux projets de la scène australienne : Austere. Un Black Metal atmosphérique et mélancolique dans sa forme la plus noble. Que ce soit sur Withering Illusions and Desolation ou To Lay like Old Ashes, les seuls albums studio parus avant la mort du groupe, il y règne une atmosphère de désolation et de désespoir. Bien que la partie vocale ne soit pas complètement définie entre les deux membres, les deux apportant leur contribution, c’est surtout celle de Sorrow qui crée le malaise. L’individu pousse des cris stridents, tel un schizophrène en pleine rechute. C’en est glaçant...

 

 

Wrath (Black Dawn)

A la fin des années 90 / début 2000, il y avait une certaine course à l’album le plus violent en matière de Black Metal. On pourrait citer les Nightwing et Panzer Division de Marduk, Trans Cunt Whip de Tsatthoggua ou encore 666 de Katharsis, parmi tant d’autres. C’est dans ce contexte qu’est né Blood for Satan, premier album studio de Black Dawn, en 2001. Considéré comme l’oeuvre la plus brutale du mouvement par certains, caricature bas du front par d’autres, il n’en demeure pas moins qu’elle a marqué les esprits. Outre les compositions d’une véhémence rarement atteinte jusqu’alors, c’est la prestation du frontman qui impressionne. La voix de Wrath est un flot d’agressivité permanente, doublée de folie dans le timbre. C’est necro, torturé et malsain. On regretta que son organe ait perdu en intensité au fil des années : le successeur de Blood for Satan, quinze ans plus tard, apparaît moins direct, plus posé.

 

 

Silenoz (Dimmu Borgir)

Vous trouverez étonnant de voir un nom aussi connu dans cette liste, d’autant plus que l’individu est surtout renommé en tant que guitariste. Il faut cependant savoir qu’aux origines de Dimmu Borgir, Silenoz occupait le poste de vocaliste principal. Progressivement, il a laissé sa place à Shagrath, qui le secondait jusqu’alors. Sur le premier opus des Norvégiens sorti en 1995, For All Tid, le groupe joue sur les terres du Black Metal mélodique et imprégné de l’imaginaire médiéval, à l’instar de Satyricon à cette même époque. Par son chant extrêmement éraillé, animal et grave, Silenoz contribue à peindre ce décor de forêt peuplée de trolls, à la fois mystérieuse et menaçante. On est loin, très loin du Dimmu Borgir tout lisse d’aujourd’hui.

 

 

Éclat Cadavéreux (Humus, Tümëur)

Le mystère de l’identité de ce personnage reste entier. Tout juste sait-on qu’il officie dans son projet solo Tümëur, dont les productions sont tirées à un nombre qui frise avec la clandestinité. L’underground dans son état le plus pur. L’individu a également collaboré de façon éphémère avec Dunkel, pour former Humus, le temps de deux albums, parus en 2011 et 2012. Il y occupe le poste de vocaliste et apporte toute son aura antipathique, grâce à son timbre très écorché et animal. Eclat Cadavéreux brille par la noirceur de sa voix, morbide à souhait...

 

 

Sacrilege (Profane Congregation)

Profane Congregation est une entité forgée dans l’underground nordique, ses réalisations sont publiées dans une confidentialité assez exacerbée. Pour preuve, l’album Apocalyptic Visions n’a été produit qu’en 100 exemplaires sur format cassette. J’ai la chance d’en posséder une version et croyez-moi, elle renferme une musique noire et malsaine. Profane Congregation distille un Black Metal incisif et oppressant, en instaurant un climat d’une extrême agressivité. Les guitares présentent une sonorité corrosive, lourde tandis que la batterie délivre un rythme étouffant et haletant. Mais le point fort du projet est de loin la prestation vocale de Sacrilege, absolument démentielle dans sa restitution. L’individu, seul maître à bord de ce projet, répand des lamentations déshumanisées et pleines de folie qui semblent se perdre dans l’infini cosmique. Une voix absolument nocive.

 

Sacrilegious (Insanity Cult)

Sur les premières productions d’Insanity Cult, on ne peut pas dire que la prestation vocale de Sacrilegioussoit hors du commun. Plutôt classique en réalité. Mais c’est véritablement sur le dernier album en date que l’individu se démarque de la concurrence, avec une évolution palpable. Le vocaliste est poussé dans ses retranchements et apporte une réelle plus-value aux compositions, grâce à ses cris aigus et poussifs. Le résultat est assez déstabilisant tant on partage les souffrances du Grec.

 

 

Kim Carlsson (Life is Pain, Hypothermia, Lifelover..)

Comme on peut le voir sur l’image ci-dessus, la quantité de cicatrices de mutilation sur le corps de Kim Carlsson suggère la parfaite intégrité mentale du bonhomme. Le musicien a en effet contribué à plusieurs projets de Black Metal dépressif. Le plus connu d’entre eux est bien entendu Lifelover, nom assez ironique vu le style pratiqué. Un peu plus tôt, l’individu avait fait ses armes avec Hypothermia puis, entre autres, Life is Pain. C’est probablement avec ce dernier que sa voix est la plus maladive. Fruit d’une collaboration avec le Tchèque de Trist, le temps d’une courte démo de trois titres à la sonorité claustrophobique, il vient accentuer tout le côté dramatique des compositions avec ses cris transpirant le malaise. On a ici l’image d’un énergumène recroquevillé sur lui-même, le sang ruisselant au sol, dans un état schizophrénique. Dans une froide agonie, il glisse lentement vers la mort...

 

 

Graf von Baphomet (Psychonaut 4)

La voix de Graf est indissociable de Psychonaut 4, formation géorgienne de DSBM. Qui dit Black Metal dépressif dit vocaux torturés. Les mauvaises langues diront que son timbre ressemble à celui d’une petite fille face à un fantôme, mais ne vous y trompez pas, il s’agit bien là de l’expression de la terreur et de la démence. Des cris perçants, horrifiés et emplis de détresse, en harmonie avec les compositions désolantes…