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Album

09 décembre 2014 - U-Zine

Shaman

Reason

LabelAFM Records
styleHeavy métal
formatAlbum
paysBrésil
sortiejuin 2005
La note de
U-Zine
9.5/10


U-Zine

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« I lost my Innocence » "Innocence" - 2005

La perte de l’Innocence, la découverte de certaines réalités, de difficultés existentielles ainsi que les différentes épreuves vécues par Andre Matos lui auront permis de relativiser et de remettre complètement en question un parcours artistique pourtant couronné de succès.
Pourtant, face aux fantômes d’un Angra ayant redoré son blason d’une main de maître en produisant l’album le plus abouti de leur carrière en la présence du sublime "Temple Of Shadows", touchant de très près le génie autant artistique, créatif que lyrique, Shaaman (avec un second « a » sur cet album) décide de prendre un risque aussi important que calculé, celui de l’évolution.

Evolution ; un mot revenant sans cesse lors de l’écoute passionnée et attentionnée que demande ce "Reason" exigeant.
Une évolution aussi bien musicale que stylistique et conceptuelle, traitant en grande partie de la solitude, la difficulté de la vie ainsi qu’une mélancolie empreignant considérablement une musique n’ayant encore jamais été aussi sombre et, comment dire, humaine. Non pas que les exploits créatifs hérités d’Angra ne soient pas humains, mais Shaaman ne semble plus vouloir se cacher derrière des artifices symphoniques ou pompeux avec ce disque, mais se mettre au contraire à nu, se livrer émotionnellement à son public sur sa vision de l’existence.
Ainsi, la magnifique pochette, pleine de spleen et de mélancolie, incrustée dans une atmosphère noire mais délicate, dévoilant cette ombre nous représentant tous, marchant sur ce rail symbolique vital. Quand au livret en lui-même, j’en aurais rarement vu de si contextuel, s’ancrant dans une étrangeté et une tristesse splendide, notamment concernant ce sang bleu métallique glaçant, et les superbes photos d’une charmante Demoiselle pleine de chagrin finement égorgée, le prouvant ce liquide bleu coulant le long de son corps.

Evolution ; direction diamétralement opposée au Angra, si désarmant de vitesse, de technique et d’orchestrations, "Reason" impose un style dépouillé, lent, très sombre que certaines mauvaises langues pourront s’empresser de rapprocher à une certaine facilité.
Facilité erronée, car l’accès à ce disque se veut si difficile qu’il en devient parfois tortueux, particulièrement lors de premières écoutes ébahies par une telle ébauche de dépression humaine que l’on ne connaissait pas du tout chez ce chef d’orchestre ambitieux, à la limite de la démagogie orchestrale sur ces précédents travaux. Idem concernant l’aspect progressif de "Ritual" complètement envolé, la musique se veut résolument heavy metal, mais sans jamais tomber dans des poncifs. Elle est comme une extension d’un genre se mordant irrésistiblement la queue.

La première surprise est logiquement le premier morceau, "Turn Away" autant trompeur que destructeur, car ne représentant en aucun cas la teneur atmosphérique du contenu de "Reason".
S’ouvrant sur un sample de hurlement humain aussi surprenant qu’inattendu sur un tel disque, avant d’entendre s’écrouler sur nos tympans une rythmique thrash écrasante au possible, sur laquelle la production très travaillée de Sascha Paeth fait toute la différence, fine et puissante tout en gardant une profondeur dans les arrangements que seul Sascha est capable de créer, une empreinte se ressentant sur de nombreux travaux mais atteignant sa quintessence ici.
Andre est quasi méconnaissable, au chant rocailleux et très éraillé, envahi de souffrance et de rage, tandis que chaque transition voit l’arrivée de claviers électroniques et légers apportant un aspect encore plus froid à l’ensemble.
Hugo Mariutti, parfaitement intégré, dévoile des capacités de virtuose déchirant l’espace sonore, quelques violons viennent se poser dans cet univers bourré de tensions avant qu’Andre ne réalise sa première envolée, qui resteront très rares sur le disque, mais tellement jouissives à chaque intervention.

Après cet introducteur violent et rude, le piège prend forme, les morceaux se suivent et s’enfoncent de plus en plus dans la mélancolie dont j’évoquais le contenu précédemment. L’ambiance étouffante perd peu à peu de son emprise pour devenir une simple contemplation de la douleur de quatre interprètes touchés par l’art au sens noble du terme.
Si "Reason" détient un refrain magnifique, il laisse l’expression des sentiments plutôt qu’une technique excessive, ici toujours utilisée avec parcimonie à des instants cruciaux pour y instaurer un plus grand degré de sentimentalité ou de tension.

Le crépusculaire "In The Night" est en cela la plus grande réussite du disque. S’ouvrant sur quelques incursions cybernétiques et lointaines, un riff pesant et saturé emplit rapidement un air qui se glace en quelques secondes, instaurant une lourdeur que Shaaman ne nous avait encore jamais fait découvrir. Et cet Andre, touchant, déchirant sur un refrain presque désabusé, où celui d’un homme fatigué de vivre une vie ne lui apportant pas ce qu’il demande.
Déchirant il le sera également sur le final "Born To Be", à la ligne de piano superbe et au riff énorme et inspiré, tellement loin de tous les efforts mercantiles polluant le metal d’aujourd’hui. Un riff sortant des tripes, expressif, beau simplement, cette batterie toujours au plus juste (Confesori est d’une sobriété rare) et ces quelques arpèges…avant une ultime envolée, envolée dont on ne ressortira pas indemne, autant musicalement qu’elle représente le dernier exploit de Shaman. Puis ce piano, passant de la narration à la contemplation, vision d’une création mature et dépassant probablement ses géniteurs, poétique et incroyablement grande.

Et si "Innocence", ballade au piano unique de grâce et de sensibilité, également capitale dans le développement du concept, ou encore l’expérimental "Rough Stone", passant de mystérieuses saveurs orientales à des déchainements solistes, sont de vrais perles dans leur unicité, c’est bel et bien d’un ensemble que nous devons parler, d’une œuvre et non d’une suite illogique de pistes numériques.
"Reason", album probablement le plus impressionnant par ce qu’il véhicule et transmet dans la carrière d’Andre Matos, renverse de plein droit et détruit les détracteurs n’ayant que le sain "Holy Land" à la bouche, pour s’envoler dans les tréfonds des cieux, aux côtés d’un "Angel's Cry" trônant déjà parmi les dieux.

1. Turn Away
2. Reason
3. More (Sisters of Mercy cover)
4. Innocence
5. Scarred Forever
6. In the Night
7. Rough Stone
8. Iron Soul
9. Trail of Tears
10. Born to Be

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