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Album

12 novembre 2016 - 87

The Devin Townsend Project

Transcendence

LabelHevyDevy Records / InsideOut Music
styleMetal Progressif ?
formatAlbum
paysCanada
sortieseptembre 2016
La note de
87
9/10


87

Exhumé de l'ère U-zine. Passionné de musique, de littérature; de cinéma, de jeux vidéo. Scribouillard trop ponctuel pour Horns Up. Black Metal ist Krieg.

87 : Sans chercher à rentrer dans les détails, difficile d'évoquer la sortie d'un album de Devin Tonwsend, en l'occurrence sous le nom de The Devin Townsend Project (DTP), sans évoquer ne serait-ce que brièvement le caractère affreusement prolifique du multi-instrumentiste canadien. Les productions du bonhomme ne sont effectivement jamais bien loin des rayons de disques, qui accueillent avec une régularité un brin flippante les différents opus nés de sa créativité.

Si l'on met entre parenthèse l'escapade Casualties of Cool, assez éloignée des traditionnelles livraisons du musicien, Devin Townsend a occupé beaucoup d'espace, avec pas moins de 6 albums sortis en seulement 5 ans, et si l'on prend en compte le Z² Dark Matters qui accompagnait Sky Blue. portez le nombre de rondelles commercialisées à 7. Autant d'opus pour un seul artiste... autant dire que la saturation n'était pas loin. En dépit de la diversité d'ambiances que l'on pouvait trouver d'un album à l'autre, Devin Townsend basculait tranquillement dans la redite en bout de parcours. Sans jamais être franchement moyen, DTP semblait répéter les mêmes schémas qui, s'ils n'étaient clairement pas dénués d'inventivité, mettaient en musique une certaine routine pouvant déstabiliser voire désintéresser les fans de la première heure comme les autres.

Et pourtant, en cette glorieuse année 2016, The Devin Townsend Project nous revient avec Transcendence, un album qui propose une musique rafraîchissante, peut-être la plus intéressante de la discographie du groupe. Difficile de trouver les raisons profondes qui font de ce Transcendence un album diablement réussi, sans doute le plus complet et le plus représentatif de la propension de Tonwsend à composer des musiques représentatives de son humeur. Tandis que l'homogénéité des ambiances était le mot d'ordre des précédents album, Transcendence se veut plus diversifié qu'auparavant, piochant avec beaucoup de finesse dans ce que le Canadien a de meilleur à offrir.

Pour l’anecdote, Townsend a d'ailleurs été, une fois n'est pas coutume, davantage enclin à piocher dans les idées de ses compagnons de DTP pour façonner cet album, fait de reliefs et d'émotions antagonistes, à l'image de la discographie du bonhomme. Comme une réminiscence du passé, l'album s'ouvre sur un "Truth", qui entamait en 98 les hostilités de l'inoubliable Infinity. Et pourtant, même si la relecture du morceau est quasi-identique à l'originale, la production, le chant plus puissant et assuré et les textes additionnels donnent immédiatement quelques indices sur l'état d'esprit du prolifique compositeur, nettement plus apaisé qu'auparavant, au moment de l'élaboration de ce nouvel album. Accepter le passé et s'en servir de rampe de lancement pour s'élever vers des horizons plus sereins, voilà la manière dont devrait être – selon votre humble serviteur – être perçu Transcendence.

Car Transcendence est sans aucun doute l'album le plus personnel de Townsend depuis une paye, en témoignent les interventions plus discrètes de ses chanteuses fétiches : Anneke van Giersbergen et Ché Aimee Dorval. Ces dernières n'interviendront effectivement que ponctuellement dans le cadre de l'album, sachant s'effacer dans les moments les plus mélancoliques pour mieux exploser dans les instants plus positifs de l'album. Et s'il est hors de question de remettre en cause les talents de vocaliste des deux femmes, il faut reconnaître qu'il est agréable d'entendre Townsend se réapproprier sa musique, comme s'il n'avait plus peur de chanter des textes et de jouer des musiques qui lui appartiennent avant tout. Car Transcendence est un album de reliefs qui reflète d'une manière assez précise les différentes facettes d'un personnage aussi complexe que Townsend.

L'album ne vogue pas sur une mer d'huile, bien au contraire, les flots sont largement plus tumultueux qu'auparavant et c'est là que Transcendence puise son charme. Un "Stormbending" aigre-doux précède un splendide "Failure" qui sait dévoiler les failles d'un artiste qui a encore manifestement beaucoup à dire. Sérénité, mélancolie mais aussi grandiloquence seront autant de sensations que vous pourrez ressentir à l'écoute de cette triplette introductive qui laisse immédiatement présager du meilleur pour la suite. Et puisque nous évoquons "Failure", ayons tout de même une pensée pour le solo dont se fend Townsend à mi-parcours, qui nous rappelle que le maestro sait encore manier le mediator, toujours en gardant à l'esprit que la technique doit servir le morceau et pas l'inverse. Sans jamais égaler la maestria du solo d'un "Deep Peace", Townsend dévoile à nouveau ses talents de shredder et prouve qu'il sait utiliser l'aïgu à plusieurs reprises dans ses compositions sans jamais tomber dans la bête démonstration technique. 

Transcendence est un album qui ne faiblit presque pas et qui sait captiver l'auditeur. "Higher", le morceau le plus progressif de l'album, ne se contente pas de diversifier ses mélodies et ses humeurs, non, il s'emploie au contraire à résumer parfaitement bien l'ensemble de la discographie de Townsend, empruntant avec élégance l'esprit des riffs, de l'atmosphère et de l'émotion des productions antérieures du musicien. Il y a même un peu de Strapping Young Lad dedans, c'est dire. Ce titre, justifiant à lui seul l'achat de l'album, est incontestablement l'une des meilleures choses que le Canadien ait produit depuis des lustres.

Ce qui impressionne aussi dans cet opus, c'est sa construction, chaque morceau semblant être profondément à sa place. Loin d'être interchangeables, les différents tracks de l'album sont idéalement ordonnés, donnant à Transcendence une fluidité rare, qui fait honneur à l'intelligence musicale de Devin Townsend. Alors que les trois premiers tracks de l'album laissent planer une certaine mélancolie, "Secret Science" amorce un nouveau virage pour l'album qui débouche sur ce fameux "Higher", ouvrant la porte au très lumineux "Stars". Ce morceau, pas dénué d'une certaine nostalgie est contrebalancé par le titre éponyme qui laisse Townsend exprimer son talent de vocaliste à plein régime sur fond de rythmiques lourdes. Encore une fois aux allures d’ascenseur émotionnel, Transcendence réveille l'auditeur avec un "Offer Your Light" fort surprenant grâce à son tempo enlevé et sa positivité communicative. Si la fin du skeud faiblit un brin, avec un "From the Heart", qui a pour principal intérêt l'improvisation collégiale de conclusion, et une reprise un brin paresseuse de "Transmerdal Celebration" de Ween, il serait criminel de ne pas classer cet album comme le meilleur album pondu par Townsend depuis des piges et comme le meilleur album du Devin Townsend Project en général.

Il semblerait qu'en acceptant d'ouvrir sa musique à ses partenaires de scène, Townsend ait trouvé un certain équilibre et qu'en absorbant les idées d'autres musiciens, il soit parvenu à réinventer sa musique. Production léchée au possible, compositions intelligentes, section rythmique qui livre ici incontestablement sa prestation la plus solide, vocaux impeccables et paroles écrites au cordeau... Un excellent album qui laisse augurer le meilleur pour la suite. On félicite Townsend pour sa propension à enfin se réinventer et DTP pour la qualité de se prestation.

Un indispensable pour quiconque aime Townsend et une obligation pour celles et ceux qui auraient pu perdre foi en la capacité du bonhomme à écrire un album riche et intelligent.

 

ZSK : Devin Townsend est un Artiste (avec un grand A, oui) qui ne laisse pas indifférent, et ce depuis un paquet d’années, voire même depuis ses débuts avec Heavy As A Really Heavy Thing de Strapping Young Lad en 1995. Il y a souvent bien peu de demi-mesure entre ses fans absolus l’appelant « Dieu » et buvant ses paroles jusqu’à en devenir incapables de juger ses œuvres par eux-mêmes (cf. les avis étranges sur le controversé mais pourtant génial Deconstruction), et ceux qui d’un autre côté le considèrent comme un musicien surestimé à la musique très pompeuse et insupportable. Au milieu de tout ça, Devin trace sa route, avec des albums qui généralement suivent ses humeurs et ses divers délires. Depuis Synchestra, soit 10 ans jalonnés par 10 sorties studio tous projets confondus (je compte avec ce Transcendence, Casualties Of Cool et en double vu qu’il présentait deux albums bien distincts), Townsend a pourtant du mal à faire l’unanimité, sauf chez les indécrottables bien sûr. La tendance actuelle, elle est à la cool, que ça plaise ou non. Si l’on met de côté le Dark Matters de Ziltoid présent sur , le style actuel du Devin Townsend Project toujours en vigueur est plutôt cotonneux et atmosphérique, plein de spleen et d’ambiances positives et aériennes. Epicloud, Sky Blue et ce petit nouveau Transcendence se tiennent presque dans un mouchoir de poche. D’aucuns pourraient alors reprocher à Devin Townsend de tourner en rond, d’ailleurs pour ma part, j’avais énormément accroché à Epicloud tandis que Sky Blue manquait franchement de singularité et d’intérêt. Heureusement, le Canadien a toujours plus d’un tour dans son sac et va faire de sa Transcendance un album plus riche et ambitieux qu’il n’y paraît.

Passé Synchestra et donc la période du Devin Townsend Band, Devin avait délaissé le style purement progressif pour embrayer sur un style plus personnel, piochant dans certaines œuvres passées comme Infinity ou Physicist et même Strapping Young Lad, avec des ajouts de « pop » tout à fait personnels. Cela nous avait notamment donné des disques comme Addicted et Epicloud, chacun avec leur humeur propre, bien distincte d’autres œuvres comme les deux Ziltoid et Deconstruction d’ailleurs. Eh bien avec Transcendence, Devin Townsend va opérer un retour au prog’. Si la vibe de Epicloud et Sky Blue reste toujours présente, on sent qu’à certains moments Devin n’a pas hésité à retourner un peu vers les disques les plus progressifs de son répertoire, Terria et Accelerated Evolution en tête. Il en résulte un Transcendence toujours très aérien et « pop » à sa manière, mais bien plus musical qu’il n’y paraît. La reprise très « bombastic » de "Truth" en entrée n’annonce pas forcément la couleur d’un album relativement mélodique et posé, encore plus que Epicloud et Sky Blue peut-être. Certes, il y a quand même un peu de dynamisme, que ça soit pour le plus direct "Offer Your Light", certains passages du très riche et complet "Higher", le plus grandiloquent morceau-titre et surtout l’exceptionnel "Failure", où Devin livre une de ses meilleures performances depuis un bail et ce à tous les niveaux, avec des riffs simples mais terriblement prenants et des vocaux touchants. Mais à l’image de "Stormbending" qui n’aurait pas fait tache sur Accelerated Evolution, la majorité de Transcendence avec son tempo soutenu, son ambiance épique et ses solos, donne avec brio dans la carte d’un Metal prog’ aérien forcément enivrant ("Secret Sciences", "Higher", "Stars", "From the Heart"), jusqu’à la reprise très accrocheuse de "Transdermal Celebration" de Ween en bout de course.

87 vous en ayant parlé plus en détail, je ne vais pas plus insister sur Transcendence, que j’ai nettement préféré au décevant Sky Blue même si pour moi Epicloud, un peu plus varié, restera au-dessus, même si avec le recul les œuvres sont un poil différentes, et ce retour au prog’ fait mouche quoi qu’il en soit. Je vais plutôt embrayer sur une particularité de Transcendence qui est son édition double digipack. Tout comme Epicloud, elle présente un second CD fait de morceaux supplémentaires en versions démo. Mais si le CD bonus de Epicloud nommé Epiclouder, trop convenu, ne m’avait pas convaincu le moins du monde, c’est une autre histoire avec ce CD bonus nommé Holding Patterns. Alors que son CD-parent est très progressif et explore encore une fois le versant « calme » de la musique de Devin Townsend, pour ces 11 inédits l’histoire va être tout autre. Devin y retrouve une verve plus dynamique, plus déglinguée, plus percutante tout en restant « pop » à sa manière, toujours. Si je devais rapprocher les inédits de Holding Patterns d’un album en particulier, ça serait Addicted, disque qui n’a d’ailleurs jamais vraiment eu d’équivalent. Mais on peut trouver des bouts de Infinity, Physicist, voire Deconstruction et les Ziltoid et bien sûr Strapping Young Lad, dans ces compositions enjouées qui auraient franchement mérité d’être présentées sur un album complètement finalisé ! Certes, le son n’est pas parfait vu que l’on reste dans un registre de « démo » bien que les morceaux en eux-mêmes sont totalement fignolés, et l’ensemble manque d’un peu de cohérence pour en faire une vraie œuvre construite et singulière digne de Devin Townsend (forcément du au fait que les contextes de composition ont été très différents), mais ce Holding Patterns très couillu est une franche surprise et prouve que Devin a encore de l’inspiration, et ce dans les différentes couleurs de son spectre musical.

Devin sort donc les riffs bien mordants dont il a toujours eu le secret dès "Gump", en plus d’écarts de voix bienvenus et d’envolées de synthé comme aux heures les plus efficaces de sa discographie. Et Anneke est aussi de la partie ! Holding Patterns nous propose donc une bonne poignée de morceaux efficaces, bien plus que ce que propose Devin depuis Ghost. "Into the Sun" frôle le Strapping Young Lad sur les couplets, tout en balançant un refrain épique. "Time Overload" est très accrocheur, les sonorités sont même assez originales. "Monkeymind" est un instrumental bien virevoltant, et "Canucklehead" est étonnamment Rock’n’Roll pour du Devin Townsend. Enfin "Victim", reprise de Physicist (ce qui annonçait déjà la couleur), arrive être plus SYLesque que la version d’origine, du SYL version Alien ou The New Black, mais du SYL quand même. "Support the Cause" et "Lexus", quant à eux, sont plus proches de ce qui a pu être fait pour Ziltoid, que ça soit dans la version grand-guignol pour le premier ou la vibe plus simplement percutante pour le second. Dommage que leurs refrains soient un peu pâlots mais rappelons que ces morceaux sont des démos dont Devin est relativement insatisfait, et logiquement Holding Patterns ne peut être parfait sur la forme et un peu sur le fond. Mais tout de même, ça fait plaisir de voir un Devin toujours en forme sur des compos plus couillues, et le Canadien en a encore sous la semelle quel que soit le registre, malgré un plutôt moyen.

Reste encore des démos un peu plus cool, à l’image du plus épique et mélodique "Farther On" ou du final "Loud" à la Ghost, mais il y a encore du tube là-dedans avec l’excellent "Celestial Signals", à la cool globalement mais toujours pétri du Big-Metal à la Devin Townsend version Addicted mais descendant aussi de ce qu’il a fait pendant de nombreuses années. Bref, le diptyque Transcendence / Holding Patterns propose une belle revue de ce que Devin Townsend a pu proposer pendant sa carrière solo (DTB et DTP compris), ce qui était assez inattendu pour un simple bonus. Sans le vouloir, Transcendence « version double » réussit donc là où a échoué, proposer avec brio les deux facettes de l’art du Canadien. Il est bien sûr dommage que Holding Patterns ne soit pas un véritable album finalisé, mais il fait mieux que Epiclouder (le nom du CD de démos de Epicloud) qui était trop hétérogène. Et fait mieux que Dark Matters sur certains points. Et Transcendence fait à l’aise mieux que Sky Blue, en utilisant à bon escient un retour à des velléités plus progressives. Bref, à chaque album on peut penser que ça y est, Devin est fini et n’a plus de jus, mais à l’album suivant il parvient toujours à nous surprendre, à proposer quelque chose de frais sans se réinventer totalement. J’attendrai toujours un nouveau Deconstruction, à défaut d’un nouveau Strapping Young Lad, mais c’est mon petit cœur de gros metalleux poilu qui parle, et mon gros cœur de metalleux fleur bleue se contente aisément d’un Transcendence très joli et enivrant. Mais, et les fans n’auront pas loupé l’occasion je pense, faire l’acquisition de l’édition double me semble indispensable quand on aime tout ce qu’a fait le divin canadien, car il est toujours là et en a toujours dans le calbute, malgré les années qui passent et les reproches qui lui sont faits. En attendant un « nouveau cycle », on lui dit bravo !

La Note de ZSK : 8/10 (pour l’ensemble des deux disques)

 

Tracklist de Transcendence :

1. Truth (4:47)
2. Stormbending (5:22)
3. Failure (6:02)
4. Secret Science (7:28)
5. Higher (9:40)
6. Stars (4:17)
7. Transcendence (5:54)
8. Offer your Light (3:57)
9. From the Heart (8:23)
10. Transdermal Celebration (cover de Ween) (8:26)

Tracklist de Holding Patterns :

1. Gump (5:24)
2. Celestial Signals (5:02)
3. Support the Cause (4:31)
4. Into the Sun (3:10)
5. Time Overload (3:59)
6. Lexus (5:14)
7. Farther On (2:51)
8. Victim (3:09)
9. Monkeymind (3:51)
10. Canucklehead (2:09)
11. Loud (3:23)

 

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