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Album

04 décembre 2015 - DarkMorue

Killing Joke

Pylon

LabelSpinefarm Records
stylePost Punk / Metal Indus / New Wave / Apocalypse
formatAlbum
paysAngleterre
sortieoctobre 2015
La note de
DarkMorue
9/10


DarkMorue

Un mec qui écrit des trucs.

Killing Joke a toujours été un groupe complètement hors des normes. Un rejeton de la musique qui a été culte et/ou précurseur dans de nombreux domaines successifs et qu'on ne sait désormais plus du tout où caser. Démarrant sa carrière dans un Post-Punk rageur, sortant des classiques à droite à gauche en touchant à tout, successivement d'énormes bombes New-Wave (tout le monde connaît "Love Like Blood", faites pas genre, et l'affaire judiciaire avec Nirvana également) ou virages Metal Indus massifs désormais dans les classiques du genre, c'est à partir du milieu des années 2000 que nos illuminés ont à peu près établi une ligne directrice. Toujours boudé par la critique et jouissant surtout d'un succès d'estime mitigé pour une formation de cette taille (pour une raison toute simple : ceux qui ne sont pas fans visualisent toujours la musique du groupe comme quelque chose de bien différent que ce qu'elle est réellement, et vu le bordel discographique on peut pas leur en vouloir), et toujours mené par un Jaz Coleman plus illuminé que jamais.

Et donc, après les errances Metal Indus du gigantesque "Pandemonium" et l'ultra percutant album éponyme de 2003, notre blague qui tue a à peu près posé ses marques en 2006 en sortant un "Hosannas From The Basement of Hell" mélangeant tous les genres auxquels elle a pu toucher jusque là pour donner un cocktail possédé, ritualiste, sorte de musique saturée efficace mais prenant au corps et portant à la transe. Avec un doux parfum d'apocalypse imminente tout sauf désagréable, ne faisant qu'amplifier et atteignant son paroxysme sur la géniale usine à tubes et album culte garanti dans 20ans qu'est "MMXII". Et cette année sort donc "Pylon", album recevant une promotion jusque là très timide en France mais explosant bien les charts anglophones (boum la première place, alors que le groupe n'était pas entré dans le Top 20 depuis 1994), à la demande de Jaz qui, semble-t-il, souhaite prendre une forme de revanche médiatique sur une grand public qui a jusque là un peu trop sous-estimé la formation. Supposé former le dernier épisode d'une trilogie entamée en 2010 basée sur la noirceur du système industriel, prenant sa revanche sur une apocalypse méritée n'étant finalement pas arrivée en 2012, comme prévu.

Bref, on ne va pas se le cacher plus longtemps, "Pylon" est une bombe. Moins démonstratif que l'album précédent, moins immédiat, moins bardé de hits instantanés (vu le sans-fautes total qu'a été l'opus de 2012 en même temps...), et revenant bien plus aux racines Post-Punk, rythmiques hypnotiques et binaires, mais tout en restant dans la même ambiance de veille d'apocalypse cyberpunk. On est aux anges de retrouver ce monde mécanique, bleuté, translucide, avec la voix si particulière de Coleman qui nous déclame de manière toujours aussi possédée ses textes rivés vers l'avenir (ceux qui ont déjà vu le bonhomme en live comprendront, rarement on aura vu quelqu'un autant transporté dans une autre dimension par son art) avec sa voix tantôt éthérée tantôt bien plus rauque et proche du Metal Extrême. Avec un son bien plus massif, sombre et étouffant que les précédents, en faisant l'un des opus les plus noirs et monolithiques du groupe malgré les éclaircies nombreuses et un découpage facile. "Authonomous Zone" est directement posé là dans ce but, électrisant l'ambiance, morceau simple et accrocheur, obscurcissant les cieux en nous invitant à réfléchir et nous plonger pleinement dans l'atmosphère de danse macabre au milieu des machines au sein de laquelle on va être plongé les 50 prochaines minutes. Et nous fait résonner son titre de manière mécanique et inexorable avant de passer à la suite.

Beaucoup de moments de bravoure, peu de répit. D'énormes bûchages de Metal Indus martial, avec "Dawn of the Hive" qui monte la tension d'un cran ou bien encore l'explosion tardive "I Am the Virus", morceau Punk rageur et sanguin qui étire sa fougue pendant plus de cinq douloureuses minutes. Là où "Big Buzz" nous rappelle à quel point la similitude vocale avec un certain Burton C. Bell peut être troublante, "New Cold War" remet en avant les racines Post-Punk du groupe de manière plus visible que jamais. Mais attention, même les réfractaires du genre (que je comprends parfaitement) n'auront pas de quoi être rebutés, on y retrouve bien les signatures rythmiques mais c'est avant tout au service d'une musique bien plus cybernétique qu'éthérée, véhiculant le même spleen mais lorgnant vers la thématique de catastrophe écologique. Et si l'aspect ritualiste atteint son apogée sur "New Jerusalem", sorte de longue procession religieuse industrialisée aux montées en puissance épiques où l'on visualise parfaitement Jaz en prédicateur devant une foule déshumanisée, c'est "Euphoria" qui remporte mon adhésion la plus totale. Pièce touchante, faisant écho au magnifique "In Cythera" de l'album précédent. Boule de mélodies et d'émotions propulsée au dessus des nuages pas loin de m'arracher une larme et ayant sa place méritée d'office dans mon Top de l'année.

En assombrissant encore le tableau, en dénonçant toujours plus fort les manipulations avec ces textes désabusés et dégouttés, Killing Joke frappe encore un grand coup. Capable autant de composer des titres mélodiques, immédiats et à la portée universelle (je n'ai pas parlé de "War on Freedom" aux guitares bien trop claires pour le groupe, "Euphoria", "Big Buzz") que de lentes processions étouffantes ("New Jerusalem", les deux premiers titres) ou des décharges d'énergies contrastées comme les deux derniers titres, après quelques 35ans de carrière, nos Britanniques n'ont pas tout dit et ont encore de la contestation à revendre. C'est encore une violente raclée que ce "Pylon" qui revient à nouveau squatter les albums de l'année  (mais ne tape pas la note parfaite à cause de quelques titres en dessous que je vais pas mentionner pour pas vous spoiler oh non mais). Confortant encore les amateurs, prolongeant logiquement la discographie, et donnant une nouvelle porte ouverte aux néophytes encore persuadés que le groupe joue du Depeche Mode, Killing Joke a clairement les arguments pour foutre sur le cul ceux qui s'y intéresserent maintenant. Qui que tu sois, si tu lis actuellement Horns Up (et il semblerait que ce soit le cas), attaque toi à l’œuvre de Killing Joke post-1994, c'est forcément ta came, ceux d'avant tu verras plus tard. Ne me remerciez pas.

Tracklist :

1 – Autonomous Zone
2 – Dawn of the Hive
3 – New Cold War
4 – Euphoria
5 – New Jerusalem
6 – War On Freedom
7 – Big Buzz
8 – Delete
9 – I Am The Virus
10 – Into the Unknown

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